Contes et poésies de Prosper Jourdan: 1854-1866 | Page 8

Prosper Jourdan
du sentier.
Tant qu'il avait gardé quelque faible espérance?D'être aimé de Rosine, il sentait cet amour?Vivre dans sa poitrine et grandir en son ame,?Et, comme un acier pur s'endurcit à la flamme,?Sa nature, en aimant, s'élevait chaque jour;?Mais, une fois ce charme arraché de sa vie,?Une fois qu'il e?t vu la dernière lueur?Qui lui montrait le ciel, s'éteindre dans son coeur,?Alors il lui sembla, dans sa fierté meurtrie,?Que ce monde, après tout, n'est qu'une comédie?Infame et désolante, et que c'est un malheur?Pour tout homme, ici-bas, d'être un homme d'honneur.?Lors, mesurant l'ab?me, il comprit sa détresse;?Et son coeur retomba d'autant plus désolé?Qu'il s'était élevé plus haut dans sa tendresse?Pour suivre en souriant son fant?me envolé.?C'est ainsi que l'on voit, dans le soir étoilé,?Un nuage qui passe emprunter un visage?Dont notre oeil se compla?t à suivre le mirage;?Et qu'enfin, quand la brise en disperse l'image,?Réveillé tout à coup de ce rêve enchanté,?Notre coeur se débat dans la réalité.?Grandi par son amour, c'est par lui qu'il s'abaisse!?Plus vaillant fut Stello, plus morne est sa faiblesse!?Tout ce qui l'e?t fait grand se tourne contre lui,?Et c'est son propre coeur qui le tue aujourd'hui.
C'était bien lui. Son coeur tressaillait en lui-même.?En vain il refoulait, par un effort suprême,?Ses larmes et ses cris et sa folle douleur;?En vain il affectait une froide ironie;?En vain dans la débauche il consumait sa vie;?En vain, pour le tuer, il reniait son coeur:?Son coeur n'était pas mort! Grandi par sa souffrance,?Pendant les nuits d'ivresse et de pales excès,?Sous son masque impassible il pleurait en silence.?Mais, sit?t qu'il sortait de son sommeil épais,?Stello sentait en lui sa terrible morsure,?Et, plus vivace encore après sa flétrissure,?De son ancien amour l'éternelle torture?Se réveillait alors, plus rude que jamais.
Quelquefois, cependant, sa puissante nature?Reprenait le dessus. Il redevenait lui.?Alors il se disait qu'ici-bas rien ne dure,?Et, se trouvant plus calme, il croyait à l'oubli.?Ces jours-là, fatigué de sa dernière orgie,?Las de son monde et las de sa banale vie,?Pour errer librement et rêver sans témoin?Il partait à cheval et s'en allait au loin,?Marchant à l'aventure et, laissant sa pensée?Lui retracer tout bas sa jeunesse effacée,?Conduit par son murmure et bercé par son chant.?Souvenirs qui vivez dans notre ame endormie,?Charme mystérieux! votre mélancolie,?D'où vient-elle? et que veut son murmure enivrant?
Par un de ces jours-là, seul, comme à l'ordinaire,?Stello longeait la mer et se laissait aller?A ce calme complet où la nature entière,?Sous ces ardents climats, semble se dévoiler.?C'était en plein automne. On e?t dit que la terre?E?t caché, ce jour-là, le soleil dans son flanc,?Tant le ciel était tiède et le jour caressant!?Il s'enivrait. Pour lui c'était un nouveau monde?Que ses yeux saluaient pour la première fois.?Tout s'était effacé: ses rêves d'autrefois,?Sa fièvre, ses sanglots, sa misère profonde.?Tout, jusqu'à son amour, jusqu'à l'ivresse immonde,?Jusqu'à son nom, jusqu'à ses yeux, jusqu'à sa voix.?Son coeur était vivant! Il sentait sa jeunesse?Se soulever en lui sous le souffle divin?Qui passait dans son ame, et, comme une ombre épaisse,?Les cendres du passé s'envoler de son sein.?Son coeur était vivant! Il aimait la nature.?Il se ber?ait au chant de l'onde qui murmure?Et comprenait le monde on regardant les cieux.?Il lui semblait entendre une voix inconnue?Dont le timbre, dans l'air, chantait sa bienvenue?Et volait sur ses pas, oiseau mystérieux.?Son coeur était vivant!
Quand il vit la campagne?Se teindre à l'horizon de la paleur du soir,?Quand il vit le soleil pencher sur la montagne?Qui se dressait déjà comme un fant?me noir,?Alors il s'aper?ut qu'une grande distance?Le séparait d'Alger qu'il ne pouvait plus voir.?Nul bruit au loin. Le flot troublait seul le silence.?Il tourna son cheval pour mieux s'orienter?Et vit, dans un rayon lointain, se dessiner?Sidi-Ferruch, ainsi qu'un fil sur la mer bleue;?Il tourna derechef et gravit le coteau:?Le Tombeau de la Reine au loin; à droite l'eau;?A gauche, _Coléah la Sainte_; un quart de lieue?Le séparait alors de ce fond sans pareil?Où s'endort _Bou-Sma?l_ au couchant du soleil.
Stello prit le parti d'y coucher à l'auberge.?Un quart d'heure plus tard il était attablé?_H?tel de la Panthère_, aspirant l'air salé?Que fra?chissait le soir et qu'exhalait la berge.
En face, à la fenêtre, une enfant de seize ans?Le regardait d?ner. Elle était blonde et blanche:?Blonde,--comme Rosine,--ayant ses traits charmants,?Appuyant sur sa main sa tête qui se penche?Et laissant son travail pendre sur ses genoux,?Rêveuse dans sa pose et comme subjuguée,?Elle considérait Stello d'un oeil si doux?Qu'il n'est douceur au monde à s'en faire une idée.?Rapha?l l'e?t con?ue et Greuze l'a rêvée.?Quel mystère insondable elle avait dans les yeux!?Dans le pays, chacun se la rappelle encore,?Moins doux que ses regards sont les feux de l'aurore;?Moins profonde est la mer et moins purs sont les cieux.?--Providence ou hasard,--quel destin, sur ces plages?Réservait cette perle au souffle des orages??Au village on disait qu'elle riait toujours?Et qu'un ange habitait son ame. De nos jours?Il faut aller si loin trouver telle sornette!?Quoi qu'il en

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