Contes et poésies de Prosper Jourdan: 1854-1866 | Page 9

Prosper Jourdan
soit, un ange a de moins purs contours.?Du nom comme des traits, ressemblance complète:?Elle se nommait Rose: on l'appelait Rosette.
Quand la Fatalité nous trace le chemin,?Insensé qui s'agite et croit fuir son destin.
Rose le contemplait toujours, tendre et plus belle.?Pourquoi ce long regard attaché sur le sien??Pourquoi cette rougeur sur ce front de pucelle??Pourquoi ce flot d'amour qui bouillonnait en elle?Alors que cette enfant même n'en savait rien??Qui l'approfondira, cet éternel mystère??Cha?ne d'anneaux perdus qu'on retrouve plus tard?Pêle-mêle enlacés, renoués au hasard?Pour se briser encore.--Et quelle cha?ne amère,?Qui brise, en se rompant, les coeurs qu'elle resserre!?Le fait est que Stello palit horriblement?Lorsqu'en levant les yeux il vit ce front charmant,?Se croyant le jouet de quelque mauvais ange.?Leurs yeux s'étaient croisés d'un si rapide échange?Que son verre faillit échapper de sa main.?Mais lui, se reprenant, d'un mouvement soudain,?Il le vida d'un trait avec un rire étrange.
Tous deux s'étaient aimés quand revint le matin.
VII
Où sont-ils?--_Le Méandre_ est parti pour la France.?Le flot, de son sillage a gardé la nuance?Dont la nacre s'efface. On peut encor le voir?Au tournant des rochers. ?Adieu climats étranges?Où j'ai souffert! Adieu golfe aux mourantes franges?Que l'aube diamante et qu'argente le soir!?Je ne vous verrai plus, beaux lieux de ma souffrance,?Bords témoins de ma honte et de mon désespoir.??... Il glisse, il fuit toujours. L'onde qui le balance?N'a jamais au soleil étalé plus d'azur.?Adieu!--Stello!--Rosette!--Espérance! Espérance!
Enfants! la vie est longue et l'horizon si pur.
L'horizon peut trahir et la mort nous surprendre.
Sur la proue appuyés, seuls et silencieux,?Deux jeunes gens sondaient cette mer et ces cieux?Qu'ils quittaient pour jamais, ne pouvant se défendre?D'une tristesse éparse à travers leur bonheur.?Les passagers, voyant deux ames tant unies,?Se racontaient tout bas qu'après mille folies?De débauche et de luxe, il s'était pris de coeur?Pour elle qu'il avait enlevée et ravie,?Et qu'il s'en revenait avec elle à Paris?Pour fuir les lieux témoins de son ancienne vie,?De ses jours sans ardeur plus pales que ses nuits.
VIII
Par quels détours secrets le hasard qui nous mène?Ne peut-il nous conduire à son but ignoré??Par quel fatal pouvoir l'homme est-il condamné?A suivre malgré lui le destin qui l'entra?ne??Tel recherche la mort qui ne la trouve pas.?Tel autre la redoute et s'attache à la vie?Qui, laissant à moitié sa tache inaccomplie,?Plein d'espoir et d'amour, vole vers le trépas.?Spectre aveugle, ? Destin! ce monde est ton esclave.?Insensé qui te fuit! Malheur à qui te brave!?O vieillard entêté qui nous tiens dans la main;?Quel grief as-tu donc contre le genre humain?Pour que le Tout-Puissant, protégeant ta vengeance,?Ait pu l'abandonner à ta lache puissance?
O Muse! prends le deuil! pars et retiens tes chants?Loin de ces souvenirs que ma plume soulève.?Mon ame se reporte à de cruels instants.?Triste récit, pourquoi faut-il que je t'achève??Pour mes vers désormais il n'est plus de printemps;?Ni les parfums du soir, ni les bruits de la grève?Ne se mêleront plus à mes tristes accents.
Jeunes, libres tous deux, souriant à la vie,?Rosette et son amant s'aimaient à la folie,?Et tenaient leurs amours pour uniques soucis,?S'inquiétant fort peu du reste; et l'habitude?Qu'avait prise Stello, dès qu'il fut à Paris,?De n'amener chez lui pas un de ses amis,?Fit que rien ne troublait leur chère solitude.?Ils vivaient donc heureux autant qu'il est permis.
Mais combien ce bonheur fut de courte durée!?Comme ils étaient comptés ces beaux jours! Destinée!?Destinée impassible! Oh! sombre lendemain?Que suspendait sur eux ton immuable main!?N'as-tu donc dans le coeur de pitié ni de honte?Qui te puisse émouvoir? Et n'est-il ici-bas?Nul qui puisse espérer, en te tendant les bras,?Que sa prière, au moins, te peut rendre moins prompte?
Or quoi qu'il l'e?t voulu, Stello ne pouvait pas?Fuir le monde, et partant, y faisait bonne mine,?Engagé qu'il était par son ancien éclat.?Le bruit de son retour fut, comme on l'imagine,?Un grand événement dont tout Paris parla.?On médit bien un peu, mon lecteur le devine,?Cependant tout était pour le mieux jusque-là.?Mais hélas! quel bonheur jamais ne s'envola??Insensés qu'ils étaient!--Ah! frémissez, madame!?Frémissez, car ce conte, ici, se change en drame.?Ma plume, en ce moment, hésite à retracer?Le simple et froid récit d'aussi pénibles choses.?Hélas! ? ma lectrice, ?tez vos habits roses!?O ma lectrice, hélas! vos beaux yeux vont pleurer.
Les amis de Stello, qui voyaient la comtesse,?N'avaient garde,--on s'en doute un peu,--de lui cacher?Ni comment il vivait, ni combien sa ma?tresse?Lui ressemblait. C'était, dit-on, à s'y tromper?Jusques à les confondre et dire: Les deux Roses.?A force d'en parler on fit tant et si bien?Que le hasard, habile en ces sortes de choses,?Les fit se rencontrer au Théatre Italien.
O Sphinx! entre les sphinx, impossible à comprendre!?En retrouvant celui qu'elle avait désolé,?Assis en face d'elle auprès d'une autre femme,?En le voyant heureux, et le sachant aimé,?Rosine, dans son coeur, sentit comme une lame?Dont le contact mortel, en déchirant son ame,?Lui fit comprendre alors que lui s'était vengé.?Et celle dont la bouche avait été muette,?Celle qui, froidement, avait brisé ce coeur?Et

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