Contes et poésies de Prosper Jourdan: 1854-1866 | Page 7

Prosper Jourdan
volupté!
LE CHOEUR.
Ta chanson a menti, Georgette.?C'est immoral!
GEORGETTE.
Dieu! qu'il est bête!?Allez au diable!
LE CHOEUR.
Au diable? bon,?J'y suis. Le trajet n'est pas long.?Vive Dieu! l'enfer est en fête.?Ma foi! le bourgogne a du bon,?Ma voisine dort comme un plomb,?Tout ce vin me porte à la tête.?Vivent le diable et le macon!?Vive Georgette!... et sa chanson!?Georgette a lu de mauvais livres!?L'auteur!
STELLO.
C'est moi!... vous êtes ivres.
(Il roule de sa chaise.)
LE CHOEUR.
Hurrah!--hé!--holà!--ho!--bravo!?Silence!... en triomphe Stello!?Il faut le coucher sur la table.?Parle donc!... as-tu soif?... Que diable!?Il ne fait pas un mouvement.?Salut! c'est le roi de la fête!?Monte à c?té du roi, Georgette,?Et verse à boire à ton amant.
Telle dans la campagne, à cette heure attardée,?L'orgie osait troubler le silence des bois.?La maison d'où partaient ces cris et cette voix,?était celle où Stello, cette même soirée,?Sur la fin d'un souper se trouvait ivre-mort.?Ainsi que l'avait dit un ami charitable,?Sans qu'il p?t dire un mot, ni faire un seul effort,?On l'avait de son long étendu sur la table?Où le seigneur du lieu tr?nait, sans sourciller,?Les pieds dans les débris d'un salmis de faisane?Tandis qu'un jambon d'York lui servait d'oreiller.?Auprès de lui debout, la belle courtisane,?Georgette, la bacchante au front échevelé,?La lèvre en feu, les yeux brillants de volupté,?Laissant voir son beau sein qui s'abaisse et qui monte,?Ivre de bruit, de vin, de plaisir et de honte,?Achevant le refrain qu'elle avait commencé,?Lui versait de son haut un flacon sur la tête.?Cependant qu'autour d'eux le reste de la fête,?Sans cesse redoublant son tapage effréné,?Avec des cris de joie, au comble de l'ivresse,?Dansait, criait, hurlait, et dans son allégresse,?Près de tomber aussi, semblait plus acharné.
Stello, lui, l'oeil éteint, le visage livide,?Ses cheveux inondés et collés par le vin,?Son beau col débraillé dans sa chemise humide,?Plus pale que jamais sous la clarté morbide?Des lustres que déjà palissait le matin,?Laissait pendre ses bras comme une masse inerte.
Ah! si Rosine alors, par une porte ouverte,?Avait pu contempler ce spectacle navrant!?Devant cette misère et cet abaissement,?Devant ce regard morne et cette indifférence;?En songeant qu'elle avait d'une vaine espérance?Bercé ce coeur qu'ensuite elle avait déchiré;?En songeant qu'elle seule avait désespéré?Celui qui cherchait là l'oubli de sa souffrance?Et qu'à peine, aujourd'hui, son oeil reconna?trait;?En retrouvant ainsi cette riche nature?Où la pale Débauche imprimait sa souillure,?Aurait-elle pleuré de ce qu'elle avait fait?
VI
Depuis tant?t six mois qu'il menait cette vie,?Cherchant en vain l'oubli qu'il ne pouvait trouver,?Après avoir couru par toute l'Italie,?Suivi du train royal d'un prince qui s'ennuie,?Un soir notre héros débarqua dans Alger.?Son luxe pouvait seul égaler sa folie,?Et, pour le coup, Stello se ruinait bel et bien.?Les faciles amis qu'il tra?nait à sa suite?Prévoyaient, sans aller ni plus loin ni plus vite,?Que leur h?te, en deux ans, mangerait tout son bien.?Lui-même il le savait et glissait de plus belle?Sur la pente fatale où nous pousse l'ennui.
Il disait seulement,--sa ruine v?nt-elle,--?Qu'il partirait avant qu'on n'en s?t la nouvelle,?Et qu'on n'entendrait plus, dès lors, parler de lui.?Pour le moment Stello, sans souci de la vie,?Menait un train de prince en son chateau d'Hydra.?C'est là que nous l'avons, par une nuit d'orgie,?Retrouvé, s'affolant en noble compagnie,?Fort épris de Georgette et gris comme un soldat.
O dédale du coeur, labyrinthe plein d'ombre!?Mystère de l'amour,--? palais!--? décombre!?Qui de nous a jamais sondé ta profondeur??Ceux qui l'ont voulu faire en sont morts de douleur?Sans avoir vu la fin de tes détours sans nombre.?Si basse est donc ta vo?te et ton chemin si sombre?Que, parmi tant de fronts que ton air a flétris,?Les plus hautains soient ceux qui sont les plus meurtris? Est-il vrai qu'ici-bas il n'est de grands po?tes?Que ceux qui n'ont chanté dans leur divin concert?Et pleuré dans le vent de leurs nuits inquiètes?Que leurs sanglots réels et que leurs propres fêtes,?Et que l'on n'est si grand que pour avoir souffert??Se peut-il donc, mon Dieu, que l'amour d'une femme?Une misère, un rien, un caprice écouté,?Jette, ainsi qu'une tête au tranchant d'une lame,?Notre coeur dans la boue et qu'il creuse en notre ame?Une plaie où se va perdant l'éternité?
Ce pale libertin, ce masque à l'oeil stupide?Qui regarde sans voir, ce fant?me livide,?Ce cadavre vivant, le reconnaissez-vous??Ce ne peut être lui.... C'est un autre.... Il se lève:?Non, ce n'est point Stello qui gisait là-dessous.?C'est une ombre sans os, comme on en voit en rêve.?Mieux vaudrait, si c'est lui, l'avoir percé d'un glaive?Et jeté ses lambeaux aux fanges des égouts.?Circé se vanterait de sa métamorphose!?Ce ne peut être lui. C'est une horrible chose,?Cependant, que de voir un aussi jeune front?Pale et déjà courbé sous cet immonde affront.
C'était pourtant bien lui, cet enfant qui, la veille,?Capable de tout bien comme de tout honneur,?Osait parler d'amour et croyait au bonheur.?Telle on voit, dans les champs, une féconde treille?S'embellir, appuyée au flanc d'un chêne altier:?Mais un jour l'arbre tombe, et la vigne, en souffrance,?Ployant sous le fardeau de sa propre abondance,?Se mêle dans la boue aux pierres
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