Contes et poésies de Prosper Jourdan: 1854-1866 | Page 6

Prosper Jourdan
rêveur.?Pas un oiseau de nuit sur le rivage en pleur!?Nulle voix n'animait la muette mosquée.?Pas même un fr?lement de Mauresque masquée?Gagnant quelque ruelle étroite et désertée:?Le port semblait une ombre et la ville un tombeau.
Cependant, à travers le murmure de l'eau?Se mêlait par moments, pour l'oreille attentive,?Un plus étrange accent que la brise plaintive?Qui, sur ces bords, le soir, incline l'oranger;?Plus sourd que le fracas des lames sur la grève?Et pareil à ces cris que l'on n'entend qu'en rêve?Dans les folles terreurs d'un sommeil mensonger.
On e?t dit comme un choeur de voix incohérentes,?Comme un lointain concert de plaintes discordantes?Où des éclats de rire étouffaient des sanglots;?Dont le vent emportait les notes turbulentes?Et qu'un écho mourant apportait par lambeaux.?Parfois tout se taisait. D'une voix plus égale,?Qu'on entendait à peine, une femme chantait?Quelque libre refrain que la bande écoutait.?Puis le choeur reprenait sa folle bacchanale?Comme fait, dans la nuit, une troupe infernale?Qui tant?t meurt dans l'ombre et qui tant?t rena?t.
Six mois sont écoulés. Du passé, plus de trace?Qu'un chant mystérieux dans les échos plaintifs.?C'est une nuit d'orgie à se voiler la face;?Le vin répand l'ivresse et les amours lascifs.
STELLO.
Qui parle du passé? La peste du trappiste?Qui vient gémir ici!--Georgette, mon cher coeur,?Tu me laisses mourir de soif.--Maudit chanteur!?C'est à lui qu'est la faute avec sa chanson, triste?Comme un souper sans femme.--Au diable l'aubergiste!--?Heureux celui qui dort quand il est gris! D'honneur,?Quiconque a le vin triste est un méchant buveur.?Hors d'ici les regrets et la mélancolie!?Je veux boire ce soir à tout ce qui s'oublie,?Aux filles, au bon vin, à l'homme, au monde entier!?--A la littérature!--A la gendarmerie!?Boirons-nous à l'amour? Mais l'amour fait pitié;?On abuse du mot, c'est une maladie.?A la santé de ceux qui croyaient à l'amour!
(Il chante avec le choeur et s'accompagne on faisant sonner
sa bourse dans sa main.)
Non! Non!
Non! Non!
Voilà ce qu'aime Margot!
Par Bacchus ivre-mort! c'est une pauvre espèce?Que ces malheureux-là qui s'en vont nuit et jour?Dans le creux des échos déclamant leur tristesse.?L'amour, même au théatre, est un moyen usé.?D'abord c'est mélodrame...
GEORGETTE, élevant son verre.
A toi, mon adoré!
STELLO.
Ma belle, cela vaut un baiser....--Que je meure?Si je n'ai pas vidé dix flacons tout à l'heure!?Ventre et boyaux! jamais je n'eus tant de ga?té.?Les murs sont à l'envers ... ha! ha! la belle danse!?Vous avez tous la tête en bas ... les pieds en l'air....?Morbleu! c'est évident, je sais ce que j'avance;?Le premier qui dira que je n'y vois pas clair...--?Dieu! que j'ai soif!... Messieurs, je bois à l'hyménée!?Je deviens vertueux quand il est si matin.?Ma, corpo di Baccho! mon verre est encor plein?
(Il boit.)?A boire!... j'ai dans l'ame une joie insensée....?Décidément, l'homme est un piteux mannequin....--?Que je voudrais avoir le ventre de Silène!?Je boirais un tonneau, ce soir, tout d'une haleine.--?Georgette ... je suis gris, mon coeur, en vérité!?Au diable les soupirs!...--Vive la volupté!?Du vin! je meurs de soif.--Allons, la courtisane,?Chante-nous le refrain d'une chanson profane;?Chante nos vins de France et nos amours perdus!?Les seins nus, et debout! seule, au milieu du groupe!?Silence! La bacchante a tordu ses bras nus;?Sa lèvre brille encor des rubis de la coupe.
CHANSON DE GEORGETTE.
Vive le vin! les nuits d'ivresse!?Vivent la table et la beauté!?Vrai Dieu! la vie enchanteresse?C'est le plaisir et la paresse!?Rien n'est vrai, hors la volupté!
Vive l'amour des courtisanes!?L'amour qui s'obtient sans effort.?Vivent les yeux de ces sultanes,?Les baisers sur les ottomanes?Quand le vin ruisselle avec l'or!
Malheur aux femmes de ce monde!?Honte à ces bégueules sans coeur!?Leur métier de vertu profonde?Est encor cent fois plus immonde?Que notre métier d'impudeur.
A nous leurs maris et leurs frères!?Nous autres, les filles sans nom,?Nos calèches sont plus légères;?Et leurs fils boivent dans nos verres?Pour nous venger de leur affront.
Vive la clarté des bougies!?Vivent la débauche et le bruit!?Comme les lèvres sont rougies!?Les yeux palis par les orgies?Ne brillent plus qu'après minuit.
D'ailleurs, nous sommes les plus belles,?Et, partout, c'est nous qui tr?nons;?C'est pour nous qu'ils sont infidèles,?Mais ils ne valent pas mieux qu'elles,?Ces beaux fils que nous ruinons.
Oui, votre sottise est étrange,?Car vous nous faites les yeux doux?Et nous méprisez en échange;?Mais vous nous tra?nez dans la fange?Sans pouvoir vous passer de nous.
A nous vos jeunesses rendues,?Vos bijoux, vos chevaux de prix,?Vos amours, vos santés perdues!?A nous, à nous, filles vendues!?Pour nous venger de vos mépris.
Vive l'atmosphère étouffante?Qui se répand dans un festin!?Puisque c'est le vin que je chante;?Plus la chaleur est accablante,?Meilleur encore en est le vin!
Vive le vin! les nuits d'ivresse!?Vive la table et la beauté!?Vrai Dieu! la vie enchanteresse?C'est le plaisir et la paresse!?Rien n'est vrai hors la
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