encore aujourd'hui considéré comme le 
représentant. Le parti royaliste, de son côté, lui garde rancune de son 
évolution vers le libéralisme, de ses intimités avec le parti républicain, 
et fait peser, sur ce qu'il appelle sa défection, la responsabilité de la 
chute d'un trône. Il n'a donc satisfait personne; il n'est resté l'homme 
d'aucun parti; et cela se comprend de la part d'un poète: l'imagination 
seule est un guide trompeur, dont la base est fragile, et qui flotte au 
hasard parmi les tempêtes de la politique. 
Ce que l'esprit de parti surtout n'a pu lui pardonner, ce sont ses 
sentiments religieux; on en a discuté l'orthodoxie, on en a même 
contesté la sincérité, et le plus éminent critique de notre temps, mais le 
moins orthodoxe des hommes, Sainte-Beuve, s'est attaché avec une 
sorte d'acharnement à démontrer que Chateaubriand n'était même pas 
chrétien, et que toute sa religion formée d'images, de tableaux et de 
poésie, n'était qu'une oeuvre d'imagination, presque une hérésie, en 
contradiction directe avec les dogmes et l'austérité du christianisme. 
Nous ne discuterons pas cette thèse, assez étrange sous la plume de son 
auteur; nous ferons seulement observer que le sentiment religieux ne 
procède pas uniquement des facultés de la logique et du raisonnement,
mais qu'il peut tout aussi bien trouver sa source dans les sentiments du 
coeur et les aspirations de l'imagination. Chateaubriand n'était pas un 
dialecticien, c'est évident, mais il était poète, et rien ne s'oppose à ce 
qu'un poète soit un chrétien. Le coeur, a dit Pascal, a ses raisons que la 
raison ne connaît point: on le sait en mille choses. 
Chaque incident de sa vie, ses actions, ses intentions, ses rapports avec 
sa famille, sa conduite envers Madame de Chateaubriand, tout a servi 
de texte aux incriminations, disons mieux: aux condamnations portées 
contre lui. 
Cependant la grande figure de Chateaubriand a survécu à toutes les 
critiques fondées ou non, et au dénigrement de parti pris contre sa 
personne et contre ses oeuvres. C'est que, en effet, si l'on fait 
abstraction des côtés faibles qu'on trouve chez tous les hommes autant 
ou plus qu'en lui, si, dans son style, on passe condamnation sur 
l'exagération de quelques-unes de ses images, en faveur de toutes les 
autres, qui sont fort belles, il restera toujours dans ses oeuvres 
l'empreinte d'une puissante faculté créatrice, d'une inspiration 
supérieure qui anime tous les sujets, les agrandit et les domine, un 
souffle poétique qui les parcourt et les élève jusqu'à l'idéal, une sorte de 
divination spontanée qui devance et prédit les événements. Amour du 
grand et du beau, noblesse et générosité des sentiments, horreur 
instinctive de tout ce qui est vil et bas, tels sont quelques-uns des traits 
qui caractérisent le génie de Chateaubriand. 
Nous n'entreprendrons pas de rectifier toutes les erreurs que nous 
venons de signaler, ni d'écrire dans ce but l'histoire complète d'une vie 
que les Mémoires d'outre-tombe nous font parfaitement connaître. 
Notre tâche est plus bornée: nous voulons seulement apporter quelques 
documents nouveaux et inédits sur une période de vie intime, période 
limitée, mal connue, et par suite mal comprise. 
Cette période est celle de la liaison qui a existé entre Madame de 
Custine et Chateaubriand. 
Mais pour placer les faits dans leur vrai jour, il est nécessaire de nous 
arrêter sur quelques-uns, des événements qui l'ont précédée, et qui
expliquent la situation personnelle de Chateaubriand à l'époque où elle 
a commencé. 
Nous avons donc à parler d'abord de son mariage, dont l'histoire a été si 
étrangement défigurée qu'un écrivain l'a qualifié récemment de 
«singulier mariage» sur la foi d'un récit qui exige une rectification, une 
réfutation péremptoire. 
* * * * * 
Suivons d'abord, en le résumant, le récit que Chateaubriand fait de son 
mariage dans les Mémoires d'outre-tombe. 
Mademoiselle Céleste de Lavigne-Buisson, âgée de dix-sept ans, 
orpheline de père et de mère, demeurait à Paramé, près de Saint-Malo, 
chez son grand'père, M. de Lavigne, chevalier de Saint-Louis, ancien 
commandant de Lorient. Un mariage fut décidé par les soeurs de 
Chateaubriand entre elle et leur frère. Le consentement des parents de 
la jeune fille fut facilement obtenu, dit Chateaubriand. Un oncle 
paternel, M. de Vauvert, seul faisait opposition. On crut pouvoir passer 
outre. La pieuse mère de Chateaubriand exigea que la bénédiction 
nuptiale fût donnée par un prêtre non assermenté. Le mariage eut lieu 
secrètement. M. de Vauvert en eut connaissance et porta plainte. Sous 
prétexte de rapt et de violation de la loi, Céleste de Lavigne, devenue 
Madame de Chateaubriand, fut enlevée, au nom de la justice, et mise au 
couvent de la Victoire à Saint-Malo, en attendant la décision des 
tribunaux. 
La cause fut plaidée, et le tribunal jugea l'union valide au civil, ajoute 
Chateaubriand. M. de Vauvert se désista. Le curé constitutionnel, 
largement payé, ne réclama plus contre la première bénédiction 
nuptiale, et Madame de Chateaubriand sortit    
    
		
	
	
	Continue reading on your phone by scaning this QR Code
 
	 	
	
	
	    Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the 
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.
	    
	    
