Le dernier vivant | Page 2

Paul H. C. Féval
gai, d'une servante-ma?tresse, et beaucoup d'accent.
--Bonjour, ?a va bien? me dit-elle, sans me laisser le temps de parler. Pas mal, et vous? Le patron est l��. Ceux du gouvernement ont du temps pour d��jeuner �� la fourchette et le billard; mais lui, toujours sur le pont. Est-ce pour affaire de commerce ou plus d��licate?
Elle me coupa la parole au moment o�� j'allais r��pondre, et ajouta, en clignant de l'oeil:
--Entrez toujours; on ne paye qu'en sortant. Ceux du gouvernement, j'entends les renseignements, sont cens��s gratis, mais vas-y voir! Rien sans pourboire, et des raides! Ici, au moins, on ne fait pas d'embarras.
Elle ouvrit une porte int��rieure et cria �� pleins poumons:
--Eh! patron! en voil�� un nouveau qui n'est pas encore venu, faut-il le faire entrer?
Et sans attendre la r��ponse du ?patron?, elle me poussa au travers de la porte, qu'elle referma sur moi.
J'��tais seul avec le patron: un vigoureux gaillard d'une quarantaine d'ann��es, qui faisait assez bien la paire avec sa robuste normande.
Il portait une magnifique robe de chambre ��cossaise, dont les couleurs ��clataient comme des cris d'incendie, par-dessus un pantalon de drap noir, abondamment crott��. Ses larges et forts souliers, non moins macul��s de boue, ��taient commod��ment pos��s aupr��s de lui sur une chaise, et il avait fourr�� ses gros pieds dans des pantoufles de drap ��carlate, brod�� d'or.
Une calotte turque, orn��e d'une touffe gigantesque, reposait avec coquetterie sur ses cheveux tr��s pommad��s, mais mal peign��s.
Je ne puis pr��tendre que le premier aspect avec de M. Louaisot de M��ricourt f?t tout �� fait �� son avantage. Je lui trouvai l'air par moiti�� d'un souteneur de libres penseuses, par moiti�� d'un notaire de campagne effront��, rus��, apre �� la mauvaise besogne et bravement filou.
Sa face volumineuse, presque aussi fra?che que celle de la cauchoise, son nez court, charnu, mais recourb�� comme un bec de perroquet entre ses deux grosses joues, sa petite bouche sans l��vres qui restait volontiers toute ronde ouverte, comme pour remplir convenablement l'��norme espace que la bri��vet�� du nez laissait au d��veloppement du menton, tout cela aurait pouss�� au comique ultra-bourgeois et m��me un peu �� la caricature, sans le regard de deux yeux bien fendus, deux tr��s beaux yeux, en v��rit��, qui vous faisaient subir un examen hardi, tranchant et plein d'autorit��, quoi qu'ils fonctionnassent derri��re une paire de lunettes.
Sans ses yeux, M. Louaisot de M��ricourt aurait ��t�� un pur grotesque.
Avec ses yeux, ce pouvait ��tre un charlatan tr��s d��termin�� et m��me un dangereux coquin.
Assis dans son fauteuil de cuir aux formes ramass��es, il paraissait plut?t petit, mais quand il se leva pour me recevoir, je vis qu'il ��tait de bonne taille ordinaire, grace �� ses jambes qu'il avait d��mesur��ment longues.
--Vous permettez, n'est-ce pas? me dit-il, continuant de manger un morceau de veau r?ti, sous le pouce, tout en feuilletant avec la pointe de son couteau un dossier assez compact qui ��tait devant lui sur la table, charg��e de paperasses en d��sordre. Si vos journ��es, �� vous, ont plus de vingt-quatre heures, mes sinc��res compliments; moi, je n'ai pas m��me le temps de brouter en repos: je mange l'avoine dans mon sac comme les chevaux de citadine.... De la part de qui, s'il vous pla?t?
Il me montra du doigt une chaise, et comme je ne comprenais pas sa question, il l'expliqua, disant:
--Je me fais l'honneur de vous demander quel est celui de mes honorables amis ou clients qui vous envoie vers moi. Je pronon?ai le nom de la personne qui m'avait indiqu�� sa maison.
Il prit aussit?t un petit carnet dont la tranche formait un escalier alphab��tique, et l'ouvrit �� la lettre voulue.
Pendant qu'il consultait ce livre d'or de sa client��le, mon regard parcourut son bureau, qui ��tait une chambre assez grande, mais basse d'��tage, et dont les murailles, du plancher au plafond, se tapissaient de cartons.
Le mobilier, tr��s simple, avait d? ��tre achet�� rue Beaubourg, sauf deux consoles, ��b��ne et ��caille, toutes fleuries de pierres pr��cieuses qui semblaient fort ��tonn��es de se trouver en pareille compagnie.
De m��me, parmi les estampes communes que les cartons rel��guaient aux deux c?t��s de la chemin��e, je vis, non sans surprise, deux Th��odore Rousseau de la meilleure mani��re, et un v��ritable bijou sign�� Isabey.
--Fort bien, me dit-il quand il eut consult�� son livre: c'est un client qui doit ��tre content de moi. �� qui ai-je l'avantage de parler?
--Je m'appelle Geoffroy de Roeux.
--Respectable noblesse! murmura M. Louaisot avec un signe de t��te amateur. Comte, marquis, baron?...
--Simple chevalier-banneret, s'il vous pla?t, interrompis-je un peu impatient��.
M. Louaisot de M��ricourt avait ouvert son livre �� la lettre R pour y inscrire mon nom, mais sa plume, charg��e d'encre, resta suspendue au-dessus du papier, et il me dit avec quelque s��v��rit��:
--Monsieur, la profession exige de la conscience! Je m'inclinai.
Sa plume grin?a.
--Imp��rieusement, Monsieur! continua-t-il en ��crivant.
Il referma le livre et reprit:
--Sans la conscience, la profession ressemblerait �� n'importe
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 212
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.