Influence morale des sports athlétiques | Page 3

Henri Didon
l'École
Albert-le-Grand, j'avais remarqué qu'il s'y formait des petites coteries
provoquées par des sympathies naturelles, par des rapports de famille,
par diverses convenances qu'il est difficile d'analyser, et je voyais les
élèves se grouper six par six, quatre par quatre, deux par deux. Oh! je
n'aime pas cela, parce que l'esprit de coterie est une cause de division et
de faiblesse, et comme je n'ai pas l'habitude de couper le mal autrement
que dans la racine j'ai laissé les choses aller, mais je me suis dit: Voici
une plaie que j'extirperai; or, Messieurs, je l'ai extirpée sans rien dire,
en organisant les sports, en mêlant tous les groupes.
J'ai vu que cette grande jeunesse est arrivée à faire de la fraternité. Elle
s'est rapprochée dans la lutte autour du drapeau blanc et noir, celui
d'Albert-le-Grand, le nôtre, avec ses quatre lettres A-A-A-G, de sorte
que tous ces combattants ne connaissaient plus que le capitaine qui
tenait le drapeau, les officiers qui le secondaient et les braves soldats
qui enfonçaient l'ennemi. (Applaudissements.)
Si j'osais, je pourrais m'adresser à M. le sous-préfet et lui dire: Vous qui
menez des hommes, qui avez à les gouverner, vous savez quelle
puissance on a quand on peut faire l'unité dans un milieu, quand on
peut couper les sectes et ramasser les combattants autour d'une idée

forte. Là est le génie politique et, tandis que le génie de
l'impolitique--passez-moi le mot barbare--est de diviser, celui de la
politique est de réunir. (Applaudissements prolongés.)
J'ai énuméré quelques-uns des résultats obtenus expérimentalement par
les associations sportives et athlétiques, par les exercices en plein air.
En présence de ces résultats physiques, psychiques, moraux et civiques,
les pères et les mères, les éducateurs comprennent-ils maintenant qu'ils
ont le devoir de pousser leurs fils et leurs disciples dans cette voie?
Mais ici, une question pratique se pose d'elle-même: comment ces
associations sportives doivent-elles être organisées pour donner tous
leurs fruits?
Je vais y répondre.
J'ai eu l'honneur hier de prendre part à la discussion intime de la
Commission pédagogique relative à cette question. J'avoue que j'y ai
appris beaucoup de choses des professeurs de gymnastique scientifique,
de M. le docteur Tissié surtout, qui est un maître, non seulement dans la
science médicale, mais dans la science pédagogique, et qui à sa science
spéculative ajoute une expérience consommée.
Pour mon compte--et j'ai été très heureux de rencontrer la collaboration
de M. le sous-préfet du Havre, M. Cathala--j'ai exprimé mes idées
libérales relatives à l'organisation des sports dans les lycées, collèges et
établissements libres. Quelles sont ces idées? Je vous en dois l'exposé
public et très détaillé.
Je réponds que le caractère de l'organisation de ces associations (je
mets de côté les leçons de gymnase qui font partie du programme de
l'enseignement classique) dans toutes les maisons où l'on élève la
jeunesse française doit être la liberté: liberté dans la fondation même
des associations, parce qu'il faut que les jeunes gens organisent leurs
petites sociétés eux-mêmes. Ils doivent nommer leurs présidents, leurs
secrétaires, leurs trésoriers, constituer leurs bureaux. Étant ainsi
constitués par eux, ils les acceptent comme une autorité librement
reconnue.

Et vous apercevez tout de suite que cette liberté dans l'organisation des
sociétés présente un phénomène très nouveau dans nos établissements
scolaires français. J'ai été frappé de ce fait que partout il y avait une
centralisation absolue dans les lycées, dans les collèges, dans les écoles
libres, congréganistes, j'ai observé ce fait particulier que les élèves
étaient toujours groupés au gré de l'autorité qui les domine. La
centralisation est partout et c'est ce que je ne puis accepter. Aussi me
suis-je promis que, quand j'aurais un ensemble à manier, je ferais un
trou, par lequel je ferais entrer la liberté dans les associations et dans
les établissements d'éducation. Or, Messieurs, la liberté, intronisée là et
pratiquée là, finira, soyez-en sûrs, par s'établir dans le pays en maîtresse
souveraine.
Ce que je m'étais promis de faire je l'ai fait. Et les associations se sont
constituées, et j'admirais l'importance que se donnaient ces présidents,
ces secrétaires, tous ces membres du bureau, à cause de la dignité dont
ils se voyaient tout d'un coup revêtus. J'ai même remarqué que les
dignitaires scolaires, institués par l'autorité, avaient moins d'influence
que ceux choisis par les camarades. Pourquoi? Parce que ces derniers
sont revêtus seuls de l'autorité que l'opinion peut donner, car, dans les
écoles comme dans le pays, dans la nation comme dans les petits
groupes, il y a une autorité souveraine,--l'opinion. Le chef qui ne la
représente pas ne peut rien, celui qui la représente peut tout, surtout
quand il poursuit un but élevé. (Applaudissements prolongés.)
De même que ces associations scolaires naissent librement, de même
elles doivent s'administrer librement, même en ce qui regarde leur
budget, et c'est là où je différerai peut-être d'avis avec M. le
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