Vie de Franklin | Page 8

F.A.M. Mignet
pendant l'absence de
Ralph; il lui donnait même ce dont elle avait besoin et ce que son
travail ne suffisait point à lui procurer. Mais il prit trop de goût à sa
compagnie et se laissa entraîner à le lui montrer. Il avait complétement
négligé de donner de ses nouvelles à miss Read, ce qui fut le troisième
de ses errata; et non-seulement il se rendit coupable d'oubli envers elle,
mais il courtisa la maîtresse de son ami: ce qui fut le quatrième et le
dernier de ses errata. S'étant permis à son égard quelques libertés qui
furent repoussées, comme il l'avoue, avec un ressentiment convenable,
Ralph en fut instruit, et tout commerce d'amitié cessa entre eux. Ralph
signifia à Franklin que sa conduite annulait sa créance, le dispensait
lui-même de toute gratitude ainsi que de tout payement, et il ne lui

restitua jamais les vingt-sept livres sterling (six cent quarante-huit
francs) qu'il lui devait.
En réfléchissant aux écarts de ses amis et à ses propres fautes, Franklin
changea alors de maximes. Les principes relâchés de Collins, de Ralph
et du gouverneur Keith, qui l'avaient trompé; l'affaiblissement de ses
croyances morales, qui l'avait conduit lui-même à méconnaître
l'engagement contracté envers son frère, à violer le dépôt confié à sa
probité par Vernon, à oublier la promesse de souvenir et d'affection
faite à miss Read, à tenter la séduction de la maîtresse de son ami, lui
montrèrent la nécessité de règles fixes pour l'esprit, inviolables pour la
conduite. «Je demeurai convaincu, dit-il, que la vérité, la sincérité,
l'intégrité dans les transactions entre les hommes étaient de la plus
grande importance pour le bonheur de la vie, et je formai par écrit la
résolution de ne jamais m'en écarter tant que je vivrais.» Cette
résolution, qu'il prit à l'âge de dix-neuf ans, il la tint jusqu'à l'âge de
quatre-vingt-quatre. Il répara successivement toutes ses fautes et n'en
commit plus. Il accomplit, d'après des idées raisonnées, des devoirs
certains, et s'éleva même jusqu'à la vertu.
Comment y parvint-il? C'est ce que nous allons voir.

CHAPITRE IV
Croyance philosophique de Franklin.--Son art de la vertu.--Son algèbre
morale.--Le perfectionnement de sa conduite.
En lisant la Bible et, dans la Bible, le livre des Proverbes, Franklin y
avait vu: _La longue vie est dans ta main droite et la fortune dans ta
main gauche_. Lorsqu'il examina mieux l'ordre du monde, et qu'il
aperçut les conditions auxquelles l'homme pouvait y conserver la santé
et s'y procurer le bonheur, il comprit toute la sagesse de ce proverbe. Il
pensa qu'il dépendait, en effet, de lui de vivre longtemps et de devenir
riche. Que fallait-il pour cela? Se conformer aux lois naturelles et
morales données par Dieu à l'homme.

L'univers est un ensemble de lois. Depuis les astres qui gravitent durant
des millions de siècles dans l'espace infini, en suivant les puissantes
impulsions et les attractions invariables que leur a communiquées le
suprême Auteur des choses, jusqu'aux insectes qui s'agitent pendant
quelques minutes autour d'une feuille d'arbre, tous les corps et tous les
êtres obéissent à des lois. Ces lois admirables, conçues par l'intelligence
de Dieu, réalisées par sa bonté, entretenues par sa justice, ont introduit
le mouvement avec toute sa perfection, répandu la vie avec toute sa
richesse, conservé l'ordre avec toute son harmonie, dans l'immense
univers. Placé au milieu, mais non au-dessus d'elles, fait pour les
comprendre, mais non pour les changer, soumis aux lois matérielles des
corps et aux lois vivantes des êtres, l'homme, la plus élevée et la plus
compliquée des créatures, a reçu le magnifique don de l'intelligence, le
beau privilége de la liberté, le divin sentiment de la justice. C'est
pourquoi, intelligent, il est tenu de savoir les lois de l'univers: juste, il
est tenu de s'y soumettre; libre, s'il s'en écarte, il en est puni: car on ne
saurait les enfreindre, soit dans l'ordre physique, soit dans l'ordre moral,
sans subir le châtiment de son ignorance ou de sa faute. La santé ou la
maladie, la félicité ou le malheur, dépendent pour lui du soin habile
avec lequel il les observe, ou de la dangereuse persévérance avec
laquelle il y manque. C'est ce que comprit Franklin.
De la contemplation de l'ordre du monde, remontant à son auteur, il
affirma Dieu, et l'établit d'une manière inébranlable dans son
intelligence et dans sa conscience. De la nature différente de l'esprit et
et de la matière, de l'esprit indivisible et de la matière périssable, il
conclut, avec le bon sens de tous les peuples et les dogmes des religions
les plus grossières comme les plus épurées, la permanence du principe
spirituel, ou l'immortalité de l'âme. De la nécessité de l'ordre dans
l'univers, du sentiment de la justice dans l'homme, il fit résulter la
récompense du bien et la punition du mal, ou en cette vie ou
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