petit point, n'était que l'illustration des Fables
de La Fontaine; et Jeanne eut un tressaillement de plaisir en retrouvant 
une chaise qu'elle avait aimée, étant tout enfant, et qui représentait 
l'histoire du Renard et de la Cigogne. 
À côté du salon s'ouvraient la bibliothèque, pleine de livres anciens, et 
deux autres pièces inutilisées; à gauche, la salle à manger en boiseries 
neuves, la lingerie, l'office, la cuisine et un petit appartement contenant 
une baignoire. 
Un corridor coupait en long tout le premier étage. Les dix portes des 
dix chambres s'alignaient sur cette allée. Tout au fond, à droite, était 
l'appartement de Jeanne. Ils y entrèrent. Le baron venait de le faire 
remettre à neuf, ayant employé simplement des tentures et des meubles 
restés sans usage dans les greniers. 
Des tapisseries d'origine flamande, et très vieilles, peuplaient ce lieu de 
personnages singuliers. 
Mais, en apercevant son lit, la jeune fille poussa des cris de joie. Aux 
quatre coins, quatre grands oiseaux de chêne, tout noirs et luisants de 
cire, portaient la couche et paraissaient en être les gardiens. Les côtés 
représentaient deux larges guirlandes de fleurs et de fruits sculptés; et 
quatre colonnes finement cannelées, que terminaient des chapiteaux 
corinthiens, soulevaient une corniche de roses et d'Amours enroulés. 
Il se dressait, monumental, et tout gracieux cependant malgré la 
sévérité du bois bruni par le temps. 
Le couvre-pied et la tenture du ciel de lit scintillaient comme deux 
firmaments. Ils étaient faits d'une soie antique d'un bleu foncé 
qu'étoilaient, par places, de grandes fleurs de lis brodées d'or. 
Quand elle l'eut bien admiré, Jeanne, élevant sa lumière, examina les 
tapisseries pour en comprendre le sujet. 
Un jeune seigneur et une jeune dame habillés en vert, en rouge et en 
jaune, de la façon la plus étrange, causaient sous un arbre bleu où 
mûrissaient des fruits blancs. Un gros lapin de même couleur broutait
un peu d'herbe grise. 
Juste au-dessus des personnages, dans un lointain de convention, on 
apercevait cinq petites maisons rondes, aux toits aigus; et là- haut, 
presque dans le ciel, un moulin à vent tout rouge. 
De grands ramages, figurant des fleurs, circulaient dans tout cela. 
Les deux autres panneaux ressemblaient beaucoup au premier, sauf 
qu'on voyait sortir des maisons quatre petits bonshommes vêtus à la 
façon des Flamands et qui levaient les bras au ciel en signe 
d'étonnement et de colère extrêmes. 
Mais la dernière tenture représentait un drame. Près du lapin qui 
broutait toujours, le jeune homme étendu semblait mort. La jeune dame, 
le regardant, se perçait le sein d'une épée, et les fruits de l'arbre étaient 
devenus noirs. 
Jeanne renonçait à comprendre quand elle découvrit dans un coin une 
bestiole microscopique, que le lapin, s'il eût vécu, aurait pu manger 
comme un brin d'herbe. Et cependant c'était un lion. 
Alors elle reconnut les malheurs de Pyrame et de Thysbé; et, 
quoiqu'elle sourît de la simplicité des dessins, elle se sentit heureuse 
d'être enfermée dans cette aventure d'amour qui parlerait sans cesse à sa 
pensée des espoirs chéris, et ferait planer chaque nuit, sur son sommeil, 
cette tendresse antique et légendaire. 
Tout le reste du mobilier unissait les styles les plus divers. C'étaient ces 
meubles que chaque génération laisse dans la famille et qui font des 
anciennes maisons des sortes de musées où tout se mêle. Une commode 
Louis XIV superbe, cuirassée de cuivres éclatants, était flanquée de 
deux fauteuils Louis XV encore vêtus de leur soie à bouquets. Un 
secrétaire en bois de rose faisait face à la cheminée qui présentait, sous 
un globe rond, une pendule de l'Empire. 
C'était une ruche de bronze, suspendue par quatre colonnes de marbre 
au-dessus d'un jardin de fleurs dorées. Un mince balancier sortant de la
ruche, par une fente allongée, promenait éternellement sur ce parterre 
une petite abeille aux ailes d'émail. 
Le cadran était en faïence peinte et encadré dans le flanc de la ruche. 
Elle se mit à sonner onze heures. Le baron embrassa sa fille, et se retira 
chez lui. 
Alors, Jeanne, avec regret, se coucha. 
D'un dernier regard elle parcourut sa chambre, et puis éteignit sa bougie. 
Mais le lit, dont la tête seule s'appuyait à la muraille, avait une fenêtre 
sur sa gauche, par où entrait un flot de lune qui répandait à terre une 
flaque de clarté. 
Des reflets rejaillissaient aux murs, des reflets pâles caressant 
faiblement les amours immobiles de Pyrame et de Thysbé. 
Par l'autre fenêtre, en face de ses pieds, Jeanne apercevait un grand 
arbre tout baigné de lumière douce. Elle se tourna sur le côté, ferma les 
yeux, puis, au bout de quelque temps, les rouvrit. 
Elle croyait se sentir encore secouée par les cahots de la voiture dont le 
roulement continuait dans sa tête. Elle resta d'abord immobile, espérant 
que ce repos la ferait enfin s'endormir; mais l'impatience de son esprit 
envahit bientôt    
    
		
	
	
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