journée lugubre. Mais l'archichancelier avait alors d'autres soucis en 
tête que celui de blanchir la mémoire de son ancien collègue, ce qui 
l'eût obligé de dresser un acte d'accusation formidable contre 
l'ex-mitrailleur Fouché, devenu l'un des hauts dignitaires de l'Empire. 
Ce procès, je l'ai plaidé, preuves en mains, d'après d'irréfutables 
documents, en des circonstances et dans un temps où il y avait peut-être 
quelque courage à le faire. Mon _Histoire de Saint-Just_ avait été saisie, 
poursuivie et détruite en 1859. Je ne m'étais pas découragé. Les 
recherches qu'avait nécessitées cette première étude sur les vaincus de 
Thermidor m'avaient fait découvrir les documents les plus précieux sur 
la principale victime de cette journée. A quelques années de là 
paraissait le premier volume de l'_Histoire de Robespierre et du coup 
d'État de Thermidor_. Seulement les éditeurs, aux yeux desquels le mot 
de _coup d'État_ flamboyait comme un épouvantail avaient, par 
prudence, supprimé la seconde partie du titre[1]. 
[Note 1: Le titre a été rétabli in extenso dans l'édition illustrée publiée 
en 1878.] 
Cette précaution n'empêcha pas l'Histoire de Robespierre d'être l'objet 
des menaces du parquet de l'époque. «Nous l'attendons au second 
volume», s'était écrié un jour le procureur impérial en terminant son 
réquisitoire dans un procès retentissant. Cette menace produisit son 
effet. Les éditeurs Lacroix et Verboekoven, effrayés, refusèrent de 
continuer la publication du livre, il me fallut employer les voies 
judiciaires pour les y contraindre. Un jugement, fortement motivé, les 
condamna à s'exécuter, et ce fut grâce aux juges de l'Empire que 
l'oeuvre, interrompue pendant dix-huit mois, put enfin paraître 
entièrement. 
Ni l'auteur, ni l'éditeur, ne furent inquiétés. Et pourquoi l'auraient-ils été? 
La situation s'était un peu détendue depuis la saisie de mon _Histoire de
Saint-Just_. Et puis, le livre n'était pas une oeuvre de parti: c'était 
l'histoire dans toute sa sérénité, dans toute sa vérité, dans toute son 
impartialité. 
«En sondant d'une main pieuse, comme celle d'un fils, disais-je alors, 
les annales de notre Révolution, je n'ai fait qu'obéir à un sentiment de 
mon coeur. Car, au milieu de mes tâtonnements, de mes incertitudes et 
de mes hésitations avant de me former un idéal d'organisation politique 
et sociale, s'il est une chose sur laquelle je n'aie jamais varié, et que 
j'aie toujours entourée d'un amour et d'une vénération sans bornes, c'est 
bien toi, ô Révolution, mère du monde moderne, alma parens. Et quand 
nous parlons de la Révolution, nous entendons tous les bienfaits 
décrétés par elle, et dont sans elle nous n'aurions jamais joui: la liberté, 
l'égalité, en un mot ce qu'on appelle les principes de 1789, et non point 
les excès et les erreurs auxquels elle a pu se laisser entraîner. Prétendre 
le contraire, comme le font certains publicistes libéraux, c'est ergoter ou 
manquer de franchise. Jamais, ô Révolution, un mot de blasphème n'est 
tombé de ma bouche sur tes défenseurs consciencieux et dévoués, qu'ils 
appartinssent d'ailleurs à la Gironde ou à la Montagne. Si, en racontant 
leurs divisions fatales, j'ai dû rétablir, sur bien des points, la vérité 
altérée ou méconnue, j'ai, du moins, reconcilié dans la tombe ces 
glorieux patriotes qui tous ont voulu la patrie honorée, heureuse, libre 
et forte. Adversaire décidé, plus que personne peut-être, de tous les 
moyens de rigueur, je me suis dit que ce n'était pas à nous, fils des 
hommes de la Révolution, héritiers des moissons arrosées de leur sang, 
à apprécier trop sévèrement les mesures terribles que, dans leur bonne 
foi farouche, ils ont jugées indispensables pour sauver des entreprises 
de tant d'ennemis la jeune Révolution assaillie de toutes parts. Il est 
assurément fort commode, à plus d'un demi-siècle des événements, la 
plume à la main, et assis dans un bon fauteuil, de se couvrir 
majestueusement la face d'un masque d'indulgence, de se signer au seul 
mot de Terreur; mais quand on n'a pas traversé la tourmente, quand on 
n'a pas été mêlé aux enivrements de la lutte, quand on n'a pas respiré 
l'odeur de la poudre, peut-on répondre de ce que l'on aurait été 
soi-même, si l'on s'était trouvé au milieu de la fournaise ardente, si l'on 
avait figuré dans la bataille? Il faut donc se montrer au moins d'une 
excessive réserve en jugeant les acteurs de ce drame formidable; c'est
ce que comprennent et admettent tous les hommes de bonne foi et 
d'intelligence, quelles que soient d'ailleurs leurs opinions.» 
Il y a vingt-sept ans que j'écrivais ces lignes, et elles sont aujourd'hui 
plus vraies que jamais. 
Sans doute il y a eu dans la Révolution des sévérités inouïes et de 
déplorables excès. Mais que sont ces sévérités et ces excès, surtout si 
l'on considère les circonstances effroyables au milieu desquelles ils se 
sont produits, comparés aux horreurs commises au temps de la 
monarchie? Que sont, sans compter les massacres de la 
Saint-Barthélémy, les exécutions de 1793 et de 1794 auprès    
    
		
	
	
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