Souvenirs de voyage | Page 2

M. et Mme Mercier-Thoinnet
à ceux qui ne veulent pas courir les
chances et les hasards des grands chemins, de la mer et des précipices,
de leur procurer les jouissances d'admirer les pays étrangers, sans sortir
de leur chambre pour réaliser le méticuleux conseil de Delille:
«Je fais dans mon fauteuil le voyage du monde.»

CHAPITRE PREMIER.
De Nantes à Bordeaux.
Douce amitié, bonheur de la vie! des parents, des amis viennent nous
serrer dans leurs bras, et nous offrir leurs services et leur dévouement:
nous leur confions notre fils chéri, que son jeune âge nous prive
d'emmener avec nous pour visiter le pays natal de la beauté, la
ravissante Italie. Plusieurs fois dans notre course rapide, nous nous
sommes félicités d'avoir laissé notre enfant à de si tendres soins.

Les différents climats que nous allions parcourir auraient pu,
moissonner, à l'aube de ses jours, cette jeune fleur, vie de toutes nos
pensées, et couvrir ainsi notre existence de deuil et de douleur. Mais
des lettres devaient à des jours marqués, comme de fidèles rendez-vous,
nous porter du baume et nous donner de la tranquillité dans notre
voyage.
Nous voici dans le coupé de la diligence, préférant mille fois cette voie
aux voitures particulières, et cela pour mieux parcourir les fleuves, les
lacs ou les mers dans des voyages lointains dont on ne peut préciser à
l'avance les divers accidents. Nous avions peu de bagage, afin
d'emporter pour ainsi dire, comme Bias, tout avec nous.
Sur la route, nous apercevons avec plaisir la marche rapide de
l'agriculture; les assolements brillent partout à la place des stériles
jachères: depuis que la propriété se morcelle, les champs moins
considérables sont amendés et soignés; tant il est vrai que la
subdivision des terres est avantageuse aux masses et aux productions.
Je sais bien que le grand propriétaire qui fait valoir, doit agir
différemment. Dans ces sages mesures économiques, il vise plutôt aux
prairies artificielles et naturelles, à l'engrais des bestiaux, qu'à la
dispendieuse culture des céréales; mais il n'en est pas ainsi des petits
fermiers. La culture du colza, si précieuse dans une grande partie de la
France, se propage beaucoup dans les départements de l'Ouest: Les
terres ne restent plus improductives sous nos laborieux habitants.
Voici un premier relais, c'est la petite ville de Montaigu. Ici, je ne
parlerai pas de ces luttes sanglantes de principe plutôt que de personnes,
de l'ancien et du nouveau régime, de la liberté ou de la féodalité; l'heure
de la réconciliation est arrivée; chacun possède un arpent de terre et a
de l'attachement au sol: la liberté de la presse est venue adoucir
l'humeur belliqueuse de ces contrées: je crois des réactions politiques
impossibles, dans ce beau pays, couvert de crêpes funèbres, de
décombres, et où le sang de tant de victimes n'a que trop jailli.
Nous apercevons plus loin des militaires, changeant de quartier d'hiver;
fredonnant quelques chansons bacchiques sans trébucher et sans avoir
la jambe avinée. Ces migrations fréquentes sont dans un but politique

pour briser les intimes relations des guerriers et des citadins: ces soldats,
péniblement fatigués de la marche dans une route boueuse, par le poids
de leurs armes et de leurs bagages; ces rejetons de leurs illustres
devanciers, qui ont porté la gloire du nom français jusque sous la zone
glaciale, s'approchent de notre célérifère pour s'informer s'ils pourraient
occuper les places vacantes; leurs quelques pièces de monnaie ne
suffisent pas au conducteur; ils sont obligés de continuer pédestrement
la route, comme les Spartiates infatiguables, consumés de faim, et
d'amour, pour la patrie. Les routes en fer donneront un jour plus de
facilité au développement de la philantropie, et les militaires trouveront
place sur les wagons hospitaliers.
Nous passons à Bourbon, ville créée par le moderne Alexandre, pour
pacifier et animer le bocage de la Vendée, et nous arrivons à la
Rochelle. Afin de mettre à profit les quelques heures de station, nous
faisons le déjeûner dans la voiture.
«Là, sans s'assujétir aux dogmes de Broussain, Ce que l'on mange est
bon, ce que l'on boit est sain; Le cabat le fournit, nécessité l'ordonne, Et
mieux que Bergerac, l'appétit l'assaisonne.»
Comme dans presque toutes les villes de guerre, La Rochelle a des
galeries sur un côté des rues, pour préserver de l'inclémence de l'air et
de l'éclat meurtrier des bombes. Ces passages cintrés ont de belles
boutiques, légères ébauches des élégants passages de Paris. Le port est
remarquable, et la ville mérite l'attention, du voyageur. Elle a été
long-temps l'asile des religionnaires qui, par la force de ses murailles, y
trouvaient un abri. Aujourd'hui, l'esprit du siècle est plus tolérant et
plus indifférent aux controverses religieuses. Si Luther et Calvin se
fussent montrés de nos jours, ils n'auraient pas fait tant de bruit; les
paroles grossières qu'ils échangeaient, n'auraient pas été de mises dans
notre temps
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