idée, et voici ce qui vient de m'arriver ici: un 
très grand personnage, ayant entendu dire que j'étais graveur, est venu 
dernièrement chez moi pour me faire graver son cachet.» 
Cette petite anecdote suffit, je l'avoue, pour me donner une mince 
opinion des habitans de Turin sous le rapport des arts. 
Je quittai mes aimables hôtes pour aller à Parme. À peine étais-je 
arrivée dans cette dernière ville, que je reçus la visite du comte de 
Flavigny, qui y séjournait alors comme ministre de Louis XVI. M. de 
Flavigny avait soixante ans au moins; je ne l'avais jamais rencontré en 
France; mais son extrême bonté et la grâce qu'il mit à m'obliger en tout 
me le firent bientôt connaître et apprécier. Sa femme aussi combla de 
soins ma fille et moi, et leur société me fut de la plus agréable ressource 
dans une ville où je ne connaissais personne. 
M. de Flavigny me fit voir tout ce que Parme offrait de remarquable. 
Après avoir été contempler le magnifique tableau du Corrége, la 
Créche ou la Nativité[3], je visitai les églises, dont les ouvrages de ce 
grand peintre sont aussi le plus admirable ornement. Je ne pus voir tant 
de tableaux divins sans croire à l'inspiration que l'artiste chrétien puise 
dans sa croyance: la fable a sans doute de charmantes fictions; mais la 
poésie du christianisme me semble bien plus belle. 
Je montai tout au haut de l'église Saint-Jean; là, je m'établis dans le
cintre pour admirer de près une coupole où le Corrége a peint plusieurs 
anges dans une gloire, entourés de nuages légers. Ces anges sont 
réellement célestes; leurs physionomies, toutes variées, ont un charme 
impossible à décrire. Mais, ce qui m'a le plus surpris, c'est que les 
figures sont d'un fini tel, qu'en les regardant de près, on croit voir un 
tableau de chevalet sans que cela nuise en rien à l'effet de cette coupole, 
vue du bas de l'église. 
On peut admirer aussi dans l'église de Saint-Antoine, en entrant à 
gauche, une autre figure de ce grand peintre, la plus gracieuse que je 
connaisse, et d'une couleur inimitable. 
J'ai remarqué dans la bibliothèque de Parme un buste antique d'Adrien, 
très bien conservé, quoiqu'il ait été doré. Un petit Hercule en bronze 
d'un travail fort précieux, un petit Bacchus charmant, beaucoup de 
médaillons antiques, etc., etc.; mais le Corrége!... le Corrége est la 
grande gloire de Parme. 
M. le comte de Flavigny me présenta à l'infante (soeur de 
Marie-Antoinette), qui était beaucoup plus âgée que notre reine, dont 
elle n'avait ni la beauté ni la grâce. Elle portait le grand deuil de son 
frère l'empereur Joseph II, et ses appartemens étaient tout tendus de 
noir; en sorte qu'elle m'apparut comme une ombre, d'autant plus qu'elle 
était fort maigre et d'une extrême pâleur. 
Cette princesse montait tous les jours à cheval. Sa façon de vivre 
comme ses manières étaient celles d'un homme. En tout, elle ne m'a 
point charmée, quoiqu'elle m'ait reçue parfaitement bien. 
Je ne séjournai que peu de jours à Parme; la saison avançait, et j'avais 
les montagnes de Bologne à traverser. J'étais donc très pressée de me 
mettre en route; mais l'excellent M. de Flavigny me fit retarder mon 
départ de deux jours, parce qu'il attendait un ami auquel il désirait me 
confier, ne voulant pas que je traversasse les montagnes seule avec ma 
fille et la gouvernante. Cet ami (M. le vicomte de Lespignière) arriva, 
et je fus remise à ses soins. Son voiturin suivait le mien, en sorte que je 
voyageai avec la plus grande sécurité jusqu'à Rome.
Je m'arrêtai très peu à Modène, jolie petite ville, qui me parut fort 
agréable à habiter. Les rues sont bordées de longs portiques qui mettent 
les piétons à l'abri de la pluie et du soleil. Le palais a un aspect 
grandiose et élégant. Il renferme plusieurs beaux tableaux, un de 
Raphaël et plusieurs de Jules Romain, la Femme adultère du Titien, etc., 
etc. On y voit aussi quantité de curiosités remarquables et des dessins 
des plus grands maîtres italiens; quelques statues antiques, un grand 
nombre de belles médailles, ainsi que des camées en agate très 
précieux. 
La bibliothèque est fort belle; elle contient, m'a-t-on dit, trente mille 
volumes, beaucoup d'éditions très rares et des manuscrits. 
Le théâtre rappelle les amphithéâtres des anciens. Les remparts sont la 
promenade habituelle; mais les campagnes qui bordent les grands 
chemins sont charmantes, riches et bien cultivées. 
Après avoir traversé les montagnes qui ont bien quelque chose 
d'effrayant, car le chemin est très étroit et très escarpé, et bordé de 
précipices, ce qui m'engagea à en faire une partie à pied, nous 
arrivâmes à Bologne. Mon désir était de passer au moins une semaine 
dans cette ville pour y admirer les chefs-d'oeuvre de son école, regardée 
généralement comme une des premières de l'Italie,    
    
		
	
	
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