amies (des grandes dames déchues que l'aristocratie qui avait été élevée
avec elles ne fréquentait plus); non, celles dont l'amitié a été l'orgueil de tant de gens, si
ceux-ci publiaient leurs mémoires et y donnaient les noms de ces femmes et de celles
qu'elles recevaient, personne, pas plus Mme de Cambremer que Mme de Guermantes, ne
pourrait les identifier. Mais qu'importe! Un Cottard a ainsi sa marquise, laquelle est pour
lui la «baronne», comme, dans Marivaux, la baronne dont on ne dit jamais le nom et dont
on n'a même pas l'idée qu'elle en a jamais eu un. Cottard croit d'autant plus y trouver
résumée l'aristocratie--laquelle ignore cette dame--que plus les titres sont douteux plus les
couronnes tiennent de place sur les verres, sur l'argenterie, sur le papier à lettres, sur les
malles. De nombreux Cottard, qui ont cru passer leur vie au coeur du faubourg
Saint-Germain, ont eu leur imagination peut-être plus enchantée de rêves féodaux que
ceux qui avaient effectivement vécu parmi des princes, de même que, pour le petit
commerçant qui, le dimanche, va parfois visiter des édifices «du vieux temps», c'est
quelquefois dans ceux dont toutes les pierres sont du nôtre, et dont les voûtes ont été, par
des élèves de Viollet-le-Duc, peintes en bleu et semées d'étoiles d'or, qu'ils ont le plus la
sensation du moyen âge. «La princesse sera à Maineville. Elle voyagera avec nous. Mais
je ne vous présenterai pas tout de suite. Il vaudra mieux que ce soit Mme Verdurin qui
fasse cela. A moins que je ne trouve un joint. Comptez alors que je sauterai dessus.--De
quoi parliez-vous, dit Saniette, qui fit semblant d'avoir été prendre l'air.--Je citai à
Monsieur, dit Brichot, un mot que vous connaissez bien de celui qui est à mon avis le
premier des fins de siècle (du siècle 18 s'entend), le prénommé Charles-Maurice, abbé de
Périgord. Il avait commencé par promettre d'être un très bon journaliste. Mais il tourna
mal, je veux dire qu'il devint ministre! La vie a de ces disgrâces. Politicien peu
scrupuleux au demeurant, qui, avec des dédains de grand seigneur racé, ne se gênait pas
de travailler à ses heures pour le roi de Prusse, c'est le cas de le dire, et mourut dans la
peau d'un centre gauche.»
A Saint-Pierre-des-Ifs monta une splendide jeune fille qui, malheureusement, ne faisait
pas partie du petit groupe. Je ne pouvais détacher mes yeux de sa chair de magnolia, de
ses yeux noirs, de la construction admirable et haute de ses formes. Au bout d'une
seconde elle voulut ouvrir une glace, car il faisait un peu chaud dans le compartiment, et
ne voulant pas demander la permission à tout le monde, comme seul je n'avais pas de
manteau, elle me dit d'une voix rapide, fraîche et rieuse: «Ça ne vous est pas désagréable,
Monsieur, l'air?» J'aurais voulu lui dire: «Venez avec nous chez les Verdurin», ou:
«Dites-moi votre nom et votre adresse.» Je répondis: «Non, l'air ne me gêne pas,
Mademoiselle.» Et après, sans se déranger de sa place: «La fumée, ça ne gêne pas vos
amis?» et elle alluma une cigarette. A la troisième station elle descendit d'un saut. Le
lendemain, je demandai à Albertine qui cela pouvait être. Car, stupidement, croyant qu'on
ne peut aimer qu'une chose, jaloux de l'attitude d'Albertine à l'égard de Robert, j'étais
rassuré quant aux femmes. Albertine me dit, je crois très sincèrement, qu'elle ne savait
pas. «Je voudrais tant la retrouver, m'écriai-je.--Tranquillisez-vous, on se retrouve
toujours», répondit Albertine. Dans le cas particulier elle se trompait; je n'ai jamais
retrouvé ni identifié la belle fille à la cigarette. On verra du reste pourquoi, pendant
longtemps, je dus cesser de la chercher. Mais je ne l'ai pas oubliée. Il m'arrive souvent en
pensant à elle d'être pris d'une folle envie. Mais ces retours du désir nous forcent à
réfléchir que, si on voulait retrouver ces jeunes filles-là avec le même plaisir, il faudrait
revenir aussi à l'année, qui a été suivie depuis de dix autres pendant lesquelles la jeune
fille s'est fanée. On peut quelquefois retrouver un être, mais non abolir le temps. Tout
cela jusqu'au jour imprévu et triste comme une nuit d'hiver, où on ne cherche plus cette
jeune fille-là, ni aucune autre, où trouver vous effraierait même. Car on ne se sent plus
assez d'attraits pour plaire, ni de force pour aimer. Non pas, bien entendu, qu'on soit, au
sens propre du mot, impuissant. Et quant à aimer, on aimerait plus que jamais. Mais on
sent que c'est une trop grande entreprise pour le peu de forces qu'on garde. Le repos
éternel a déjà mis des intervalles où l'on ne peut sortir, ni parler. Mettre un pied sur la
marche qu'il faut, c'est une réussite comme de ne pas manquer le saut périlleux. Être vu
dans cet état

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