la corruption et 
de la servitude. Mais cet âge d'or a-t-il jamais existé lui-même? 
Jeanne était née sage et droite; son frère, l'abbé Féline, l'avait 
perfectionnée par ses exemples et par ses discours. Il lui avait tout au 
plus appris à lire; mais il lui avait enseigné par toutes les actions, par 
toutes les pensées, par toutes les paroles de sa vie, le véritable esprit du 
christianisme. Cet esprit de religion, si effacé, si corrompu, si perverti; 
si souillé par ses ministres, depuis le fondateur jusqu'à nos jours, 
semble heureusement, de temps à autre, se réveiller, avec sa pureté sans 
tache et sa simplicité antique, dans quelques âmes d'élite qui le font 
encore comprendre et goûter autour d'elles. L'abbé Féline, et par suite 
sa soeur Jeanne, étaient de ces nobles âmes, les seules et les vraies 
âmes apostoliques, dont l'apparition a toujours été rare, quelque 
nombreux que fussent les ministres et les adeptes du culte. Il y en a 
beaucoup d'appelés, mais peu d'élus, a dit le Christ. Beaucoup prennent 
le thyrse, a dit Platon, mais peu sont inspirés par le dieu. 
Malheureusement, cet enthousiasme de la foi et cette simplicité de 
coeur qui font l'homme pieux sont presque impossibles à conserver 
dans le contact de notre civilisation investigatrice. Le jeune Simon 
subit la fatalité attachée à notre époque; il ne put pas éclairer son esprit 
sans perdre le trésor de son enfance, la conviction. Cependant il 
demeura aussi attaché à la foi catholique qu'il est possible de l'être à un 
homme de ce monde. Le souvenir des vertus de son oncle, le spectacle 
de la sainte vieillesse de sa mère, lui restèrent sous les yeux comme un 
monument sacré devant lequel il devait passer toute sa vie en s'inclinant 
et sans oser porter ostensiblement un regard d'examen profane dans le 
sanctuaire. Il eut donc soin de cacher à Jeanne les ravages que l'esprit 
de raisonnement et le scepticisme avaient faits en lui. Chaque fois que 
les vacances lui permettaient de revenir passer l'automne auprès d'elle, 
il veillait attentivement à ce que rien ne trahît la situation de son esprit. 
Il lui fut facile d'agir ainsi sans hypocrisie et sans effort. Il trouvait chez
cette vénérable femme une haute sagesse et une poétique naïveté, qui 
ne permettaient jamais à l'ennui ou au dédain de condamner ou de 
critiquer le moindre de ses actes. D'ailleurs, un profond sentiment 
d'amour unissait ces âmes formées de la même essence, et jamais rien 
de ce qui remplissait l'une ne pouvait fatiguer ni blesser l'autre. 
Dans leur ignorance des besoins de la civilisation, Jeanne et Simon 
s'étaient crus assez riches pour vivre l'un et l'autre avec les douze cents 
livres de rente léguées par le curé; la moitié de ce même revenu avait 
suffi à la première éducation du jeune homme, l'autre avait procuré une 
douce aisance à la sobre et rustique existence de Jeanne; mais Simon, 
qui désirait vivement aller étudier à Paris, et qui déjà se trouvait endetté 
à Poitiers après deux ans de séjour, éprouva de grandes perplexités. Il 
lui était odieux de penser à abandonner son entreprise et de retomber 
dans l'ignorance du paysan. Il lui était plus odieux encore de retrancher 
à sa mère l'humble bien-être qu'il eût voulu doubler au prix de sa vie. Il 
songea sérieusement à se brûler la cervelle; son caractère avait trop de 
force pour communiquer sa douleur; Féline l'ignora, mais elle s'effraya 
de voir la sombre mélancolie qui envahissait cette jeune âme, et qui, 
dès cette époque, y laissa les traces ineffaçables d'une rude et profonde 
souffrance. 
Heureusement dans cette détresse le ciel envoya un ami à Simon: ce fut 
son parrain, le voisin Parquet, un des meilleurs hommes que cette 
province ait possédés. Parquet était natif du village de Fougères, et, 
bien que sa charge l'eût établi à la ville dans une maison confortable 
achetée de ses deniers, il aimait à venir passer les trois jours de la 
semaine dont il pouvait disposer dans la maisonnette de ses ancêtres, 
tous procureurs de père en fils, tous bons vivants, laborieux, et s'étant, à 
ce qu'il semblait, fait une règle héréditaire de gagner beaucoup, afin de 
beaucoup dépenser sans ruiner leurs enfants. Néanmoins, maître Simon 
Parquet, après avoir montré beaucoup de penchant à la prodigalité dans 
sa jeunesse, était devenu assez rangé dans son âge mûr pour amasser 
une jolie fortune. Ce miracle s'était opéré, disait-on, par l'amour qu'il 
portait à sa fille chérie, qu'il voulait voir avantageusement établie. Le 
fait est que la parcimonie de sa femme lui avait fait autrefois aimer le 
désordre, par esprit de contradiction; mais aussitôt que la dame fut
morte, Parquet goûta beaucoup moins de plaisir en mangeant le fruit 
qui n'était plus défendu, et trouva dans ses ressources assez de temps et 
d'argent pour bien profiter et pour bien user    
    
		
	
	
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