tordait 
le cou sans pitié, sous prétexte qu'elle avait cherché à dégrader la 
maison. On poussa la dérision jusqu'à empoisonner leurs chiens, sous 
prétexte qu'ils avaient eu l'intention de mordre les enfants du village. 
Mais l'artifice tourna contre son auteur; les frères Mathieu comprirent 
bientôt de quoi il s'agissait. Paysans eux-mêmes, et paysans marchois, 
qui plus est, ils savaient les ruses de la guerre. Ils commencèrent par 
lâcher pied, et, quittant leur habitation de Fougères, ils s'allèrent fixer 
dans une autre propriété qu'ils avaient près de la ville. De cette manière, 
les vexations eurent moins d'ardeur, ne tombant plus directement sur 
les objets d'animadversion qu'on voulait expulser. Les paysans 
continuèrent à faire un peu de pillage, dans un pur esprit de rapine, 
ayant pris goût à la chose. Mais les Mathieu se soucièrent 
médiocrement d'un déficit momentané dans leurs revenus; ce déficit 
dût-il durer deux ou trois ans, ils se promirent de le faire payer cher à 
M. le comte, et se réjouirent de voir les habitants de Fougères 
contracter des habitudes de filouterie qu'il ne leur serait pas facile 
désormais de perdre et dont leur nouveau seigneur serait la première 
victime. 
Les négociations durèrent quatre ans, et M. de Fougères dut s'estimer 
heureux de payer sa terre cent mille francs au-dessus de sa valeur. 
L'avoué Parquet lui écrivit: «Hâtez-vous de les prendre au mot, car, si 
vous tardez un peu, ils en demanderont le double.» Le comte se soumit, 
et le contrat fut rédigé. 
 
II. 
Parmi le petit nombre des vieux partisans de la liberté qui voyaient d'un 
mauvais oeil et dans un triste silence le retour de l'ancien seigneur, il y 
avait un personnage remarquable, et dont, pour la première fois 
peut-être, dans le cours de sa longue carrière, l'influence se voyait 
méconnue. C'était une femme âgée de soixante-dix ans, et courbée par 
les fatigues et les chagrins plus encore que par la vieillesse. Malgré son
existence débile, son visage avait encore une expression de vivacité 
intelligente, et son caractère n'avait rien perdu de la fermeté virile qui 
l'avait rendue respectable à tous les habitants du village. Cette femme 
s'appelait Jeanne Féline; elle était veuve d'un laboureur, et n'avait 
conservé d'une nombreuse famille qu'un fils, dernier enfant de sa 
vieillesse, faible de corps, mais doué comme elle d'une noble 
intelligence. Cette intelligence, qui brille rarement sous le chaume, 
parce que les facultés élevées n'y trouvent point l'occasion de se 
développer, avait su se faire jour dans la famille Féline. Le frère de 
Jeanne, de simple pâtre, était devenu un prêtre aussi estimable par ses 
moeurs que par ses lumières. Il avait laissé une mémoire honorable 
dans le pays, et le mince héritage de douze cents livres de rente à sa 
soeur, ce qui pour elle était une véritable fortune. Se voyant arrivée à la 
vieillesse, et n'ayant plus qu'un enfant peu propre par sa constitution à 
suivre la profession de ses pères, Jeanne lui avait fait donner une 
éducation aussi bonne que ses moyens l'avaient permis. L'école du 
village, puis le collège de la ville avaient suffi au jeune Simon pour 
comprendre qu'il était destiné à vivre de l'intelligence et non d'un 
travail manuel; mais lorsque sa mère voulut le faire entrer au séminaire, 
la bonne femme n'appréciant, dans sa piété, aucune vocation plus haute 
que l'état religieux, le jeune homme montra une invincible répugnance, 
et la supplia de le laisser partir pour quelque grande ville où il pût 
achever son éducation et tenter une autre carrière. Ce fut une grande 
douleur pour Jeanne; mais elle céda aux raisons que lui donnait son fils. 
«J'ai toujours reconnu, lui dit-elle, que l'esprit de sagesse était dans 
notre famille. Mon père fut un homme sage et craignant Dieu. Mon 
frère a été un homme sage, instruit dans la science et aimant Dieu. 
Vous devez être sage aussi, quand les épreuves de la jeunesse seront 
finies. Je pense donc que votre dessein vous est inspiré par le bon ange. 
Peut-être aussi que la volonté divine n'est pas de laisser finir notre race. 
Vous en êtes le dernier rejeton; c'était peut-être un désir téméraire de 
ma part que celui de vous engager dans le célibat. Sans doute, les 
moindres familles sont aussi précieuses devant Dieu que les plus 
illustres, et nul homme n'a le droit de tarir dans ses veines le sang de sa 
lignée, s'il n'a des frères ou des soeurs pour la perpétuer. Allez donc où 
vous voulez, mon fils, et que la volonté d'en haut soit faite.»
Ainsi parlait, ainsi pensait la mère Féline. C'était une noble créature, 
vraiment religieuse, et n'ayant d'une paysanne que le costume, la 
frugalité et les laborieuses habitudes; ou plutôt c'était une de ces 
paysannes comme il a dû en exister beaucoup avant que les moeurs 
patriarcales eussent été remplacées par l'âge de fer de    
    
		
	
	
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