elles retombent 
pour frapper, pour se teindre du sang des misérables qui s'en sont fait 
non un instrument de salut, mais un instrument de carnage, une arme de 
désespoir et de fureur. 
L'équipage du Mascarenhas, les yeux fixés sur le capitaine, devine à 
l'expression de sa physionomie tout ce que le spectacle qu'il aperçoit au 
large lui fait éprouver de terrible et de douloureux. C'est en vain que le 
malheureux chef voudrait cacher à ses matelots ce qui se passe de 
déchirant dans son âme: des gestes involontaires, des exclamations 
subites que lui arrache l'effroi, font connaître à ceux qui observent 
chacun de ses mouvemens, toute l'étendue des maux qu'ils ont encore à 
déplorer. 
--Capitaine, s'écrient quelques-uns des marins qui se croient encore les 
plus valides, il se passe quelque chose d'extraordinaire à bord du canot 
que vous observez à la longue-vue. Nous ne sommes pas très-robustes, 
sans doute, mais si vous avez besoin de nous, il nous reste une pirogue 
que nous pouvons bien mettre à la mer; et avec de la bonne volonté 
nous réussirons peut-être à porter secours à ceux de nos camarades qui 
se sont dévoués pour nous. 
--Non, mes amis, c'est assez déjà que d'avoir exposé ces sept hommes, 
trop faibles pour faire ce qu'ils ont tenté! je ne veux pas vous sacrifier 
comme eux: tout secours serait, je le crains bien, tout-à-fait inutile 
maintenant pour ces infortunés.... 
--C'est égal; il faut essayer: la pirogue est légère et facile à manier.
D'ailleurs, quand vous nous perdriez, la perte ne serait pas grande: nous 
ne valons plus grand'chose pour vous.... Tandis, vous le savez bien, que 
c'est votre fils, votre seul enfant, que vous avez envoyé comme officier 
dans l'embarcation.... 
--Et malheureux! que me rappelez-vous! s'écrie le capitaine en se 
cachant le visage.... Il n'est déjà plus peut-être, mon pauvre fils, et c'est 
mon imprudence qui lui aura coûté la vie. 
En ce moment les cris poussés par les hommes de l'embarcation 
s'élèvent au large avec tant de violence, que les marins de l'équipage, en 
les entendant, demeurent frappés de stupeur et d'effroi. Au sein de ce 
calme profond des eaux et de l'air, la voix humaine porte si loin, 
acquiert un développement si solennel, qu'à deux lieues de distance 
deux hommes pourraient quelquefois s'entendre dans les solitudes de 
l'Océan; vaste silence que le croassement d'un oiseau de mer suffit pour 
troubler, ou que le souffle d'une baleine interrompt d'un point de 
l'immensité à l'autre! 
Les cris affreux qui ont retenti à leurs oreilles épouvantées décident les 
gens de l'équipage, qui, malgré la défense paternelle de leur capitaine, 
affalent à l'eau la pirogue dans laquelle ils veulent s'embarquer pour 
voler vers leurs infortunés camarades. 
Mais vain espoir! inutile dévoûment! les bordages de la pirogue, si 
long-temps exposés à l'action brûlante du soleil, se sont disjoints, et 
l'étoupe, qui s'est séchée dans les coutures, tombe par l'effet des 
secousses qu'éprouve l'embarcation en descendant le long du navire. A 
peine parvenue à la mer, la pirogue coule, s'enfonce et disparaît presque 
sous les flots que sa quille vient d'entr'ouvrir. 
On ne le voit que trop à bord du navire, il n'y a plus rien à espérer ni à 
tenter pour les canotiers de la première embarcation.... Il faut se 
résigner et attendre. Mais à chaque instant, de nouveaux cris, des cris 
de mort et de démence, se répandent dans l'air qu'ils ébranlent, pour 
venir porter dans l'âme des marins et des passagers, le trouble, l'horreur 
et la désolation.
Le capitaine, désespéré, se retire dans sa chambre, pour cacher du 
moins à ses matelots les larmes que lui arrache la douleur qui le déchire, 
et pour fuir le spectacle affreux qu'il n'a eu que trop long-temps sous les 
yeux. 
Un marin s'empare, après la disparition du chef, de la longue-vue que 
celui-ci a abandonnée sur le pont.... Il dirige de ses mains tremblantes 
le fatal instrument sur le canot qui flotte encore sans direction au 
large.... Ses camarades rangés autour de lui attendent en silence ce qu'il 
va dire, les premiers mots qu'il va prononcer...--Ils ne sont plus que 
quatre dans le canot! s'écrie-t-il; et il n'a plus la force d'achever.... 
Tous les marins se séparent consternés, sans oser former une conjecture, 
sans oser se communiquer ce qu'ils pensent sur le sort des trois 
malheureux qui ont disparu de l'embarcation. 
La nuit descend du haut des cieux toujours immobiles, sur la mer qui se 
confond à l'horizon avec la teinte pâle du firmament. Le soleil cette fois 
s'est couché au milieu de vapeurs moins éclatantes que les autres jours. 
Mais cet indice plus favorable est encore si vague pour des infortunés 
qui ont presque cessé d'espérer, qu'ils craignent de se livrer de nouveau 
à une vaine confiance que l'expérience a déjà si souvent trompée. 
N'est-ce pas ainsi que cinq à six    
    
		
	
	
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