avec lui au 
moyen d'une embarcation. 
--A bord de ce bâtiment, disait l'équipage, nous trouverons au moins 
quelques barriques d'eau pour suppléer à celle qui va nous manquer 
presque totalement. Peut-être même pourrons-nous obtenir quelques 
vivres plus frais que ceux que nous sommes réduits à dévorer. Si 
surtout c'est un navire de guerre, le commandant aura pitié de notre sort, 
et il nous donnera sans doute un médecin pour soigner un peu ceux de 
nos malades qui se meurent sous nos yeux faute des secours de l'art. 
Partons! 
Les hommes les moins affaiblis et les plus courageux s'offrirent pour 
armer le canot qui devait transporter la petite expédition à bord du 
bâtiment aperçu. Mais il fallait mettre ce canot à la mer, et ce ne fut pas 
sans de grands efforts de la part des marins exténués, que l'on réussit à 
faire cette première opération. 
Une fois l'embarcation à l'eau, six matelots et un officier de bonne 
volonté s'embarquent. Le capitaine donne à l'officier qui s'est présenté 
le premier les instructions qu'il croit nécessaires, et il le prévient que s'il 
n'est pas de retour avant la nuit, un fanal hissé au haut du grand mât lui 
indiquera la position du navire, qu'il aura soin du reste de relever de 
temps à autre à la boussole, pour connaître la direction que devra suivre 
son canot pour revenir à bord. Tout le monde fait pour l'embarcation 
qui va déborder, et qui n'a que quatre à cinq lieues à parcourir, les 
mêmes voeux que s'il s'agissait d'une expédition autour du globe. Les 
marins qui vont partir embrassent ceux de leurs camarades qui restent. 
--Nous vous apporterons de l'eau et de bonnes nouvelles, leur disent-ils: 
prenez patience, notre misère est finie. C'est pour nous comme pour 
vous que nous allons travailler. Mais ne nous souhaitez pas tant bonne
réussite: cela porte malheur, vous le savez bien. Au revoir seulement. 
Ils s'éloignent alors à grands coups d'avirons d'abord. La chaleur qu'ils 
éprouvent en ramant est accablante; mais l'espoir qui les anime leur 
fera aisément supporter une fatigue qui peut être au-dessus de leur force, 
mais non pas au-dessus de leur courage. Ils nagent avec vigueur 
pendant quelque temps; mais bientôt on croit remarquer à bord du 
navire que les canotiers ralentissent peu à peu le mouvement régulier de 
leurs rames. Ils se reposent pendant un instant, puis ils reprennent leurs 
avirons; mais cette fois leur nage est moins vive que lorsqu'ils ont 
quitté le bord, et après avoir ramé de nouveau, ils se reposent plus 
long-temps encore que la première fois. 
Les malheureux, après avoir trop compté sur leur vigueur, épuisés qu'ils 
sont par leurs longues souffrances, cherchent encore, en prenant le peu 
de nourriture et en buvant le peu d'eau dont ils se sont munis, à se 
donner assez de forces, non plus pour rejoindre le navire sur lequel ils 
se dirigeaient, mais pour regagner celui qu'ils ont quitté et qui se trouve 
encore le plus rapproché d'eux. Vain projet! ils ne pourront plus 
renouveler les efforts qu'ils ont faits trop imprudemment pour s'éloigner 
avec vitesse. Allongés sur les bancs de leur canot, dans l'attitude du 
désespoir, ou la tête penchée le long du bord dans le plus morne 
abattement, ils périront victimes de leur zèle et de leur imprévoyance. 
Le délire s'empare d'eux quand ils voient l'impuissance de leurs 
tentatives: la force qu'ils n'ont pu retrouver quand leur raison ne les 
avait pas encore abandonnés, ils la puisent dans leur démence, dès que 
l'exaltation du délire s'allume dans leurs cerveaux troublés. L'un d'eux 
saisit avec une énergie qu'il n'avait pas une minute auparavant, la rame 
trop lourde pour sa faiblesse. Un autre prend aussi un aviron à 
l'exemple de son camarade; mais au lieu de nager tous les deux dans le 
même sens, ils rament dans un sens opposé, et l'embarcation recevant à 
la fois des directions différentes dans l'impulsion diverse qu'on lui 
imprime, tournoie sans avancer dans les flots qu'elle a troublés. 
Un des hommes restés à bord du Mascarenhas n'a pas cessé d'observer 
depuis son départ les mouvemens du canot qui n'avance plus: cet 
homme, c'est le capitaine du navire. La longue-vue qu'il tient depuis 
une heure braquée sur le canot lui permet d'assister au commencement
de la scène épouvantable dont cette faible embarcation est appelée à 
devenir le théâtre. 
Les rameurs, livrés à toute l'exaltation du délire, après avoir nagé selon 
des directions opposées à la seule qu'ils devraient suivre, se sont 
dressés sur leurs bancs; le petit tendelet qui les ombrageait a disparu; 
l'attitude qu'ils ont prise en abandonnant leurs avirons est menaçante; 
les cris sauvages qu'ils poussent en se provoquant parviennent 
quelquefois aux oreilles du capitaine, palpitant de crainte et de terreur. 
Les rames qu'élèvent les mains égarées de ces malheureux retombent, 
mais non pour sillonner l'eau qu'ils devraient fendre:    
    
		
	
	
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