Il commande, on obéit. 
Léon et Taillevent, qui le seconde, sont déjà sur une balse de grandeur 
moyenne où pagaient plusieurs rameurs habiles. Ils ont saisi des armes, 
ils se montrent pleins d'une invincible ardeur. 
De sauvages cris de triomphe ont retenti. Une confiance superstitieuse 
succède parmi les naturels à leur terreur panique; les balses qui se 
dispersaient se rallient. Par les ordres de Léon, elles abordent de tous 
les côtés à la fois la péniche, prise d'assaut en quelques instants. 
Le Lion de la mer en est proclamé capitaine. 
* * * * * 
--Ce fut ainsi, mademoiselle, poursuivit Sans-Peur le Corsaire, que je 
combattis pour la première fois en faveur de vos infortunés 
compatriotes, dont la cause, d'ailleurs, avait déjà toutes mes sympathies. 
La force des choses m'y poussa. Je n'étais point libre de rester neutre. 
Et du reste, la politique ombrageuse des Espagnols, qui nous fermaient 
leurs ports, me les rendait odieux. J'avais à craindre, en abordant sur 
leurs terres, d'être tout au moins traité en suspect, honteusement fouillé 
et dépouillé de mes dépêches pour le roi de France. J'agissais donc de
manière à sauvegarder ma mission en me jetant à corps perdu dans les 
rangs d'une insurrection qui me protégeait. J'en fus immédiatement l'un 
des chefs principaux. 
--Les exploits du Lion de la mer sont gravés dans ma mémoire, dit 
Isabelle d'une voix émue. 
--José Gabriel, ou, comme nous l'appelions, l'inca Tupac Amaru, 
m'accueillit noblement. Votre aïeul, le brave Andrès, son neveu, devint 
mon mentor et mon compagnon d'armes. Je connus alors la marquise 
Catalina, votre mère; vous étiez enfant, j'étais à peine sorti de 
l'adolescence, et bien des fois j'admirai vos grâces naissantes en prenant 
plaisir à partager vos jeux. 
--J'aurais dû vous reconnaître plus tôt, dit Isabelle, mais mon aïeul 
Andrès vous crut mort; je me souviens qu'il fit réciter des prières 
publiques par tous ses malheureux sujets pour le repos de l'âme du Lion 
de la mer. 
--Votre aïeul, mon vieil ami, sait maintenant que je vis; il compte sur 
moi pour lui ramener la fille de sa fille. Mon brig corsaire est à vos 
ordres. Vous en serez la reine. L'Océan nous est ouvert; mais 
hâtons-nous; avant peu, sans doute, la guerre s'allumera entre l'Espagne 
et la République française. 
--Fuir l'Espagne, revoir ma patrie et mon noble aïeul sont mes voeux 
les plus ardents, répondit la jeune fille avec impétuosité. 
--Bien! dit Léon d'une voix contenue. Mais, en un mot, maintenant, 
décidez du bonheur de ma vie. 
Ils étaient en ce moment au bas de la falaise, non loin de posada des 
Rois mages, où leurs chevaux devaient les attendre. 
La jeune fille leva les yeux vers le ciel; puis, comme si elle le prenait à 
témoin de ses paroles: 
--Hier soir, quand don Ramon, mon frère, fut averti qu'un navire de
guerre anglais croisait à l'ouvert de la passe et que le Lion mettait sous 
voiles, je priai du fond de l'âme pour Sans-Peur le corsaire français. J'ai 
passé la nuit à demander au ciel le succès de vos armes. Dès l'instant où 
vous m'étiez apparu, un écho mystérieux avait retenti au fond de mon 
coeur; ma mémoire infidèle se taisait, mon âme avait parlé. Et l'esprit 
de ma sainte mère m'est apparue en me disant: «--C'est lui!» Ce matin, 
au point du jour, quand le canon a grondé au large, je me suis élancée 
sur le plus impétueux de nos chevaux pour aller à l'extrémité de la 
falaise voir quel était le vainqueur... Ah! si le brig de Léon de 
Roqueforte avait succombé, aurais-je eu la force de retourner vers le 
château de mon frère?... 
--Je suis trop heureux! s'écriait Léon avec transport. 
--Et moi, je bénis le ciel, dont les bienfaits dépassent mes espérances. 
Ma vie, que vous avez sauvée deux fois, devait vous appartenir. 
Léon de Roqueforte plia le genou et baisa respectueusement la main de 
l'amazone. 
--Soyez mon époux et mon seigneur! dit-elle ensuite. 
--Eh bien! au château de Garba! s'écria le capitaine corsaire. Il est 
au-dessous de vous et de moi, madame, d'user de ruse à cette heure. 
Tout au grand jour du soleil! Il ne faut pas que la fille des Incas et du 
marquis de Garba y Palos passe un seul instant pour avoir été enlevée 
par un aventurier sans aveu. Non! mille fois non! Je veux que la 
bénédiction nuptiale nous soit donnée dans le château de vos ancêtres 
paternels. Votre honneur de jeune fille l'exige, et il le faut encore pour 
celui des Roqueforte, dont le sang ne le cède à celui d'aucune maison 
royale des deux mondes!... Ah! ah! continua Sans-Peur en riant, pour 
un corsaire de la République, je suis passablement aristocrate. Quand 
vous saurez toute mon histoire, vous la trouverez tissue de 
contradictions apparentes plus étranges encore... Tout cela, pourtant, se    
    
		
	
	
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