coure et que je cause, je suis content de m'instruire.
Voilà! Quand je ne serai plus bon à rien, ma famille s'arrangera pour
me nourrir, et, si elle me laisse crever comme un chien, ce sera tant pis
pour elle au dernier jugement.
Des anciens chemins périlleux par où l'on arrivait à Châteaubrun, nous
ne retrouvâmes plus que l'emplacement. On y descend doucement par
le plateau, et la nouvelle route qui côtoie tranquillement le précipice a
ôté beaucoup de caractère à cette scène autrefois si sauvage.
La ruine est toujours grandiose. Le marquis de notre village l'a achetée,
avec son vaste enclos, pour deux mille cinq cents francs. Il la tient
fermée, et il avait bien voulu nous en confier les clefs.
Nous vîmes que ce noble lieu était moins fréquenté qu'autrefois.
L'herbe haute et fleurie du préau était vierge de pas humains. Toutes
choses, d'ailleurs, exactement dans le même état qu'il y a douze ans: la
grande voûte d'entrée avec sa double herse, la vaste salle des gardes
avec sa monumentale cheminée, le donjon formidable de cent vingt
pieds de haut d'où l'on domine un des plus beaux sites de France, les
geôles obscures, et cet étrange débris de la portion la plus belle et la
plus moderne du manoir, le logis renaissance que, dans ma jeunesse,
j'ai vu intact et merveilleusement frais et fleuri de sculptures,
aujourd'hui troué, informe, démantelé et dressant encore dans les airs
des âtres à encadrements fleuronnés d'un beau travail.
Le marquis a acheté, dit-il, cette ruine pour la préserver du vandalisme
des bandes noires. Il s'y est pris un peu tard.
Telle qu'elle est, c'est un romantique débris où, au clair de la lune, on
voudrait entendre l'admirable symphonie de la Nonne sanglante de
Gounod, ou mieux encore la Chasse infernale de Weber.
En plein midi, cette solitude avait encore quelque chose de solennel.
Une multitude de tiercelets et de chevêches effarouchés se croisaient
dans les airs, sur nos têtes, avec des milliers de martinets glapissants.
C'étaient des cris aigus, des râles étranges, une agitation sauvage et des
querelles inouïes.
Nous fûmes étonnés de voir des moineaux nichés effrontément au beau
milieu de cette société d'oiseaux de proie, toujours en chasse par
centaines autour d'eux. Cela faisait penser au petit vassal du temps
passé virant dans la caverne des seigneurs féodaux et abritant ses
petites rapines sous les grandes.
Nous fûmes témoins d'un drame entre tous ces pillards.
Un pauvre scarabée, échappé, demi-mort, au large bec d'un martinet,
fut happé au passage, sur le haut d'une tour, par une femelle de
moineau. Survint l'époux à l'air mutin, à la moustache noire, hérissant
ses plumes, faisant grand bruit et menace au martinet, qui voulait
reprendre sa proie, quand survint à son tour le troisième larron, la
crécerelle, attirée par la voix imprudente de ces petites gens. Elle sortit,
muette et agile, du sommet d'une tour voisine, n'osa s'attaquer au
martinet, qui ne paraissait pas la craindre, et se dirigea sur les moineaux
d'une aile si rapide et si sûre, que tout semblait fini pour eux. Mais, s'ils
ne l'avaient pas vue guetter, ils l'avaient sentie. Ils disparurent tout à
coup. Le brigand tourna d'une manière sinistre autour de la crevasse où
ils étaient réfugiés dans leur nid, mais l'entrée était trop petite pour qu'il
y pût pénétrer. Il retourna à son guettoir. Les moineaux ressortirent
aussitôt, et, plantés sur leur petit seuil, l'accablèrent d'injures et de
railleries. Il revint plusieurs fois à la charge. Toujours après avoir
lestement battu en retraite, ces audacieux oisillons reparurent pour le
provoquer, l'insulter et le maudire.
Que lui fut-il reproché? De quelles représailles le menacèrent-ils? Il
faut bien croire que quelques chose de sanglant lui fut dit, car l'oiseau
de proie se lassa de les tourmenter, et, quelques moments après, nous
vîmes les moineaux, pleins de gaieté, sautiller sur la muraille et picorer
dans les plantes pariétaires, sans aucun souci de l'ennemi terrible, et ne
manquant jamais d'adresser quelque impertinence aux martinets qui les
effleuraient de leur vol, et avec lesquels, du reste, ils ne paraissent avoir
qu'une guerre de gros mots.
Les véritables victimes de ces grandes hirondelles noires, aux griffes
acérées, sont probablement les lézards, dont les squelettes digérés tout
entiers jonchaient les ruines du donjon.
Ainsi les faibles passereaux, dont les moyens de défense seraient nuls
contre tant et de si redoutables ennemis, viennent à bout d'élever leur
famille au milieu d'eux et de lui enseigner encore le caquet et le
sarcasme de la dispute au sein de l'éternel danger. D'où vient cela? De
la supériorité d'intelligence apparemment. Michelet nous l'eût expliqué,
lui qui a daigné étudier la vie des oiseaux avec presque autant d'amour
et d'émotion que celle des hommes.
Nous renvoyâmes le gamin et son âne, et, après un déjeuner copieux
dans les ruines, nous

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