lui donna des nouvelles de ses parents. Monsieur et madame Domergue vivaient heureux, dans la maison où ils s'étaient retirés; ils se plaignaient seulement d'être bien seuls, ils gardaient rancune à Campardon de leur avoir enlevé ainsi leur petite Rose, pendant un séjour fait à Plassans, pour des travaux. Puis, le jeune homme tacha de ramener la conversation sur la cousine Gasparine, ayant une ancienne curiosité de galopin précoce à satisfaire, au sujet d'une aventure jadis inexpliquée: le coup de passion de l'architecte pour Gasparine, une grande belle fille pauvre, et son brusque mariage avec la maigre Rose qui avait trente mille francs de dot, et toute une scène de larmes, et une brouille, une fuite de l'abandonnée à Paris, auprès d'une tante couturière. Mais madame Campardon, dont la chair paisible gardait une paleur rosée, parut ne pas comprendre. Il ne put en tirer aucun détail.
--Et vos parents? demanda-t-elle à son tour. Comment se portent monsieur et madame Mouret?
--Très bien, je vous remercie, répondit-il. Ma mère ne sort plus de son jardin. Vous retrouveriez la maison de la rue de la Banne, telle que vous l'avez laissée.
Madame Campardon, qui semblait ne pouvoir rester longtemps debout sans fatigue, s'était assise sur une haute chaise à dessiner, les jambes allongées dans son peignoir; et lui, approchant un siège bas, levait la tête pour lui parler, de son air d'adoration habituel. Avec ses larges épaules, il était femme, il avait un sens des femmes qui, tout de suite, le mettait dans leur coeur. Aussi, au bout de dix minutes, tous deux causaient-ils déjà comme de vieilles amies.
--Me voilà donc votre pensionnaire? disait-il en passant sur sa barbe une main belle, aux ongles correctement taillés. Nous ferons bon ménage, vous verrez.... Que vous avez été charmante, de vous souvenir du gamin de Plassans et de vous occuper de tout, au premier mot!
Mais elle se défendait.
--Non, ne me remerciez pas. Je suis bien trop paresseuse, je ne bouge plus. C'est Achille qui a tout arrangé.... Et, d'ailleurs, ne suffisait-il pas que ma mère nous confiat votre désir de prendre pension dans une famille, pour que nous songions à vous ouvrir notre maison? Vous ne tomberez pas chez des étrangers, et cela nous fera de la compagnie.
Alors, il conta ses affaires. Après avoir enfin obtenu le dipl?me de bachelier, pour contenter sa famille, il venait de passer trois ans à Marseille, dans une grande maison d'indiennes imprimées, dont la fabrique se trouvait aux environs de Plassans. Le commerce le passionnait, le commerce du luxe de la femme, où il entre une séduction, une possession lente par des paroles dorées et des regards adulateurs. Et il raconta, avec des rires de victoire, comment il avait gagné les cinq mille francs, sans lesquels, d'une prudence de juif sous les dehors d'un étourdi aimable, il ne se serait jamais risqué à Paris.
--Imaginez-vous, ils avaient une indienne pompadour, un ancien dessin, une merveille.... Personne ne mordait; c'était dans les caves depuis deux ans.... Alors, comme j'allais faire le Var et les Basses-Alpes, j'eus l'idée d'acheter tout le solde et de le placer pour mon compte. Oh! un succès, un succès fou! Les femmes s'arrachaient les coupons; il n'y en a pas une, aujourd'hui, qui n'ait là-bas de mon indienne sur le corps.... Il faut dire que je les roulais si gentiment! Elles étaient toutes à moi, j'aurais fait d'elles ce que j'aurais voulu.
Et il riait, pendant que madame Campardon, séduite, troublée par la pensée de cette indienne pompadour, le questionnait. Des petits bouquets sur fond écru, n'est-ce pas? Elle en avait cherché partout pour un peignoir d'été.
--J'ai voyagé deux ans, c'est assez, reprit-il. D'ailleurs, il faut bien conquérir Paris.... Je vais immédiatement chercher quelque chose.
--Comment! s'écria-t-elle, Achille ne vous a pas raconté? Mais il a pour vous une situation, et à deux pas d'ici!
Il remerciait, s'étonnant comme en pays de Cocagne, demandant par plaisanterie s'il n'allait pas trouver, le soir, une femme et cent mille francs de rente dans sa chambre, lorsqu'une enfant de quatorze ans, longue et laide, avec des cheveux d'un blond fade, poussa la porte et jeta un léger cri d'effarouchement.
--Entre et n'aie pas peur, dit madame Campardon. C'est monsieur Octave Mouret, dont tu nous as entendu parler.
Puis, se tournant vers celui-ci:
--Ma fille Angèle.... Nous ne l'avions pas emmenée lors de notre dernier voyage. Elle était si délicate! Mais la voilà qui se remplit un peu.
Angèle, avec la gêne maussade des filles dans l'age ingrat, était venue se placer derrière sa mère. Elle coulait des regards sur le jeune homme souriant. Presque aussit?t, Campardon reparut, l'air animé; et il ne put se tenir, il conta l'heureuse chance à sa femme, en quelques phrases coupées: l'abbé Mauduit, vicaire à Saint-Roch, pour des travaux; une simple réparation, mais qui pouvait le mener loin. Puis, contrarié d'avoir causé devant Octave,

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