* * * 
Denver 20 juin. 
Dieu me pardonne, mère! nous sommes sur une fausse piste; nous pourchassons un 
innocent! Je n'en ai pas dormi de la nuit; le jour commence à poindre et j'attends 
impatiemment le train du matin!... Mais que les minutes me semblent longues, longues... 
Ce Jacob Fuller est un cousin du coupable! Comment n'avons-nous pas supposé plus tôt 
que le criminel ne porterait plus jamais son vrai nom après son méfait? Le Fuller de 
Denver a quatre ans de moins que l'autre; il est venu ici à vingt et un ans, en 1879, et était 
veuf un an avant votre mariage; les preuves à l'appui de ce que j'avance sont 
innombrables. Hier soir, j'ai longuement parlé de lui à des amis qui le connaissaient 
depuis le jour de son arrivée. Je n'ai pas bronché, mais mon opinion est bien arrêtée: dans 
quelques jours, je le rapatrierai en ayant soin de l'indemniser de la perte qu'il a subie en 
vendant sa mine; en son honneur je donnerai un banquet, une retraite aux flambeaux et 
une illumination dont les frais retomberont sur moi seul; on me traitera peut-être 
«d'esbrouffeur», mais cela m'est égal. Je suis très jeune, vous le savez bien, et c'est là 
mon excuse. Dans quelque temps on ne pourra plus me traiter en enfant. 
* * * * * 
Silver Gulch, 2 juillet. 
Mère! Il est parti! Parti sans laisser aucun indice. Sa trace était refroidie à mon arrivée; je 
n'ai pu la retrouver. Je me lève aujourd'hui pour la première fois depuis cet événement. 
Mon Dieu! comme je voudrais avoir quelques années de plus pour mieux supporter les 
émotions. Tout le monde croit qu'il est parti pour l'Ouest; aussi vais-je me mettre en route 
ce soir; je gagnerai en voiture la gare la plus voisine à deux ou trois heures d'ici; je ne sais 
pas bien où je vais, mais je ne puis plus tenir en place; l'inaction en ce moment me met à 
la torture. 
Bien entendu, il se cache sous un faux nom et un nouveau déguisement. Ceci me fait 
supposer que j'aurai peut-être à parcourir le monde entier pour le trouver! C'est du moins
ce que je crois. Voyez-vous, mère! le Juif errant, en ce moment: c'est moi. Quelle ironie! 
Et dire que nous avions réservé «ce rôle à un autre»! 
Toutes ces difficultés seraient aplanies si je pouvais placarder une nouvelle affiche. Mais 
je me sens incapable de trouver dans mon cerveau un procédé qui n'effraye pas le pauvre 
fugitif. Ma tête est prête à éclater. J'avais songé à cette affiche: 
«Si le Monsieur qui a dernièrement acheté une mine à Mexico et en a vendu une à 
Denver veut bien donner son adresse» (mais à qui la donner?) «il lui sera expliqué 
comment il y a eu méprise à son sujet; on lui fera des excuses et on réparera le tort qui lui 
a été causé en l'indemnisant aussi largement que possible.» 
Mais comprenez-vous la difficulté? Il croira à un piège; c'est tout naturel, d'ailleurs! Je 
pourrais encore écrire: «Il est maintenant avéré que la personne recherchée n'est pas celle 
qu'on a trouvée; il existait une similitude de nom; mais il y a eu échange pour des raisons 
spéciales.» Cela pourrait-il aller? Je crains que les soupçons des gens de Denver ne soient 
éveillés. Ils ne manqueront pas de dire en se rappelant les particularités de son départ: 
Pourquoi s'est-il enfui s'il n'était pas coupable? Si je ne réussis pas à le trouver, il sera 
perdu dans l'estime des gens de Denver qui le portent très haut. Vous qui avez plus 
d'expérience et d'imagination que moi, venez à mon aide, ma chère mère! 
Je n'ai qu'une clef, une clef unique, je connais son écriture; s'il inscrit son nouveau nom 
sur un registre d'hôtel sans prendre le soin de la contrefaire très bien, je pourrai la 
reconnaître, mais il faut pour cela que le hasard me fasse rencontrer le fugitif. 
* * * * * 
San-Francisco, 28 juin 1898. 
Vous savez avec quel soin j'ai fouillé tous les États du Colorado au Pacifique, et 
comment j'ai failli toucher au but. Eh bien! je viens encore d'éprouver un nouvel échec et 
cela pas plus tard qu'hier. J'avais retrouvé dans la rue sa trace encore chaude qui me 
conduisit vers un hôtel de second ordre. Je me suis trompé; j'ai dû suivre le contre-pied; 
les chiens le font bien! Mais je ne possède malheureusement qu'une partie des instincts 
du chien, et souvent je me laisse induire en erreur par mes facultés d'homme. Il a quitté 
cet hôtel depuis dix jours, m'a-t-on dit. Je sais maintenant qu'il ne séjourne plus nulle part 
depuis les six ou huit derniers mois, qu'il est pris d'un grand besoin de mouvement et ne 
peut plus rester tranquille. Je    
    
		
	
	
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