semblé innombrable à la 
cérémonie religieuse? Ces chants pieux, l'autel éblouissant, le parfum 
enivrant de l'encens et des fleurs!... que sais-je? mes voiles, ma robe 
blanche... 
Tout ce troublant ensemble se déroulait en ma mémoire... j'étais 
mariée... du moins pour le monde! 
Mais quand ce rêve d'un jour s'envole et que la nuit descend... quelle 
chute! 
J'étais seule dans ma chambre, et tout en repassant en moi-même cette 
journée, je ne m'apercevais pas que les heures continuaient à se 
succéder... quand j'entendis ma porte s'ouvrir, et mon mari parut... 
--Louise, arrête-toi, m'écriai-je, je ne sais vraiment si je puis continuer à 
t'entendre. 
--Je t'en supplie, dit-elle, en me forçant à me rasseoir et à l'écouter, il 
faut que je te raconte, il faut que tu saches, j'ai confiance en toi!... Tu 
n'es donc plus mon amie?...
--Oh! si, pauvre petite! 
Elle continua: 
--J'étais donc la propriété de cet homme, puisqu'il entrait ainsi chez moi, 
sans me demander si cela me convenait. 
Être la chose de quelqu'un, c'est révoltant! 
Je ne sais ce qu'il pensa, lui, mais il vint s'asseoir tout près de moi, si 
près que je respirais son haleine; je voulais fuir, et me sentais clouée à 
ma place! Il me fit un signe que je ne compris pas, puis il m'entraîna 
doucement avec lui et me souleva dans ses bras: là je ne sais plus bien 
ce qui se passa; mais, sous ses baisers brûlants, je ne cherchais plus à 
me défendre, cédant à la violence de ses caresses, quand, tout à coup, je 
ressentis une impression inénarrable; je jetai un cri, et perdis 
connaissance!... Est-ce que tu as perdu connaissance aussi, toi? 
--Louise, je t'ai promis de t'écouter, mais non de te faire des révélations 
aussi intimes! 
Dans tout ce qu'elle me disait, je démêlais surtout une horreur, une 
répugnance que je ne pouvais comprendre, mariée moi-même depuis 
peu, heureuse et calme, dans une ivresse que rien ne semblait pouvoir 
troubler!... 
 
Pauvre petite! comme je l'aimais alors! Il me semblait dans ces 
entretiens pleins d'abandon qu'elle avait besoin de moi, et que ma 
patience à l'écouter était un soulagement pour elle! 
II 
Son union fut stérile; dans les premiers temps, elle en eut un réel 
chagrin, surtout lorsqu'elle vit un berceau près de moi et qu'elle 
embrassa mon premier-né. Souvent elle le prenait dans ses bras et se 
cachait afin de dissimuler une larme!
Ma petite Louise, pourquoi ne pas avouer que c'est cela qui a manqué à 
toute ta vie? Voilà ta seule excuse si on veut bien t'en laisser une. Tu as 
eu beau être admirée, tu as eu beau être artiste, rien, vois-tu, n'atteint, 
comme poésie, le premier sourire de son fils! 
J'ai dit qu'elle était artiste. Oui, elle l'était réellement; sa voix chaude et 
caressante remuait jusqu'aux plus intimes fibres du coeur; et quoique 
son mari n'aimât pas beaucoup la musique, elle avait souvent des 
réunions, soit nombreuses, soit intimes, où elle se produisait avec un 
charme incomparable. 
Parmi ses habitués, dont j'étais naturellement, il y avait un ménage 
d'une laideur remarquable qui l'admirait de confiance, trop heureux 
d'être admis dans un salon élégant. 
Ils appartenaient à cette catégorie plate et dédaigneuse qui flatte ceux 
dont elle espère tirer avantage, et qui n'a qu'un sourire de pitié pour le 
reste! 
Puis une femme brune, grande, au teint mat, qu'on aurait prise pour un 
marbre antique échappé à quelque musée, sans ses grands yeux noirs 
brillants qui vous pénétraient jusqu'à l'âme. Elle se nommait Mathilde, 
et familièrement nous l'appelions Matt. Oh! celle-là, si j'avais pu lui 
fermer la porte de Louise, avec quelle joie je l'aurais fait! Elle me 
semblait être son mauvais génie, et toutes les fois que j'entendais dire 
dans le monde quelque chose de malveillant sur Louise, je l'attribuais à 
Matt. Elle avait une façon de dire: «La pauvre petite», qui me donnait 
le frisson. 
Je ne crois pas avoir dit encore, pourquoi on appelait Louise: _pauvre 
petite_; ce surnom lui venait de son enfance; elle était très délicate, née 
avant le temps, et avait passé ses premiers jours enveloppée dans de la 
ouate; elle était, paraît-il, si chétive, qu'on ne pouvait s'empêcher, en la 
voyant, de s'écrier: Oh! la pauvre petite! Maintenant ce surnom était un 
peu ridicule, à cause de sa haute taille et de son élégante ampleur, mais 
l'habitude était prise. 
Il y avait aussi, les soirs de musique, quelques amis de son mari. Les
uns, peu nombreux, l'écoutaient religieusement, les autres fumaient à 
l'écart, ou causaient sans se préoccuper du bruit gênant qu'ils faisaient. 
Que de fois j'ai eu envie de les griffer! 
Mais il faut signaler, entre tous, un être qui, pour moi, tenait du reptile 
et du tigre, avec l'oeil perçant d'un fauve, la chevelure trop noire et trop 
abondante, une facilité de parole fastidieuse. Cet être    
    
		
	
	
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