respect bien plus que de pitié. 
Elle resta donc immobile et muette à la regarder; mais, comme si sa 
présence se fût révélée à Pauline par un mouvement instinctif du coeur, 
celle-ci se tourna tout à coup vers elle et la regarda fixement sans dire 
un mot et sans changer de visage. 
-- Pauline! ne me reconnais-tu pas? s'écria l'étrangère; as-tu oublié la 
figure de Laurence? 
Alors Pauline jeta un cri, se leva, et retomba sans force sur un siège. 
Laurence était déjà dans ses bras, et toutes deux pleuraient. 
-- Tu ne me reconnaissais pas? dit enfin Laurence. 
-- Oh! que dis-tu là! répondit Pauline. Je te reconnaissais bien, mais je 
n'étais pas étonnée. Tu ne sais pas une chose, Laurence? C'est que les 
personnes qui vivent dans la solitude ont parfois d'étranges idées. 
Comment te dirai-je? Ce sont des souvenirs, des images qui se logent 
dans leur esprit, et qui semblent passer devant leurs yeux. Ma mère 
appelle cela des visions. Moi, je sais bien que je ne suis pas folle; mais 
je pense que Dieu permet souvent, pour me consoler dans mon 
isolement, que les personnes que j'aime m'apparaissent tout à coup au 
milieu de mes rêveries. Va, bien souvent je t'ai vue là devant cette porte, 
debout comme tu étais tout à l'heure, et me regardant d'un air indécis. 
J'avais coutume de ne rien dire et de ne pas bouger, pour que 
l'apparition ne s'envolât pas. Je n'ai été surprise que quand je t'ai 
entendue parler. Oh! alors ta voix m'a réveillée! elle est venue me 
frapper jusqu'au coeur! Chère Laurence! c'est donc toi vraiment! 
dis-moi bien que c'est toi! 
Quand Laurence eut timidement exprimé à son amie la crainte qui
l'avait empêchée depuis plusieurs années de lui donner des marques de 
son souvenir, Pauline l'embrassa en pleurant. 
-- Oh mon Dieu! dit-elle, tu as cru que je te méprisais, que je rougissais 
de toi! moi qui t'ai conservé toujours une si haute estime, moi qui 
savais si bien que dans aucune situation de la vie il n'était possible à 
une âme comme la tienne de s'égarer! 
Laurence rougit et pâlit en écoutant ces paroles; elle renferma un soupir, 
et baisa la main de Pauline avec un sentiment de vénération. 
-- Il est bien vrai, reprit Pauline, que ta condition présente révolte les 
opinions étroites et intolérantes de toutes les personnes que je vois. Une 
seule porte dans sa sévérité un reste d'affection et de regret: c'est ma 
mère. Elle te blâme, il faut bien t'attendre à cela; mais elle cherche à 
t'excuser, et l'on voit qu'elle lance sur toi l'anathème avec douleur. Son 
esprit, n'est pas éclairé, tu le sais; mais son coeur est bon, pauvre 
femme! 
-- Comment ferai-je donc pour me faire accueillir? demanda Laurence. 
-- Hélas! répondit Pauline, il serait bien facile de la tromper; elle est 
aveugle. 
-- Aveugle! ah! mon Dieu! 
Laurence resta accablée à cette nouvelle; et, songeant à l'affreuse 
existence de Pauline, elle la regardait fixement, avec l'expression d'une 
compassion profonde et pourtant comprimée par le respect. Pauline la 
comprit, et, lui pressant la main avec tendresse, elle lui dit avec une 
naïveté touchante: 
-- Il y a du bien dans tous les maux que Dieu nous envoie. J'ai failli me 
marier il y a cinq ans; un an après, ma mère a perdu la vue. Vois, 
comme il est heureux que je sois restée fille pour la soigner! si j'avais 
été mariée, qui sait si je l'aurais pu? 
Laurence, pénétrée d'admiration, sentit ses yeux se remplir de larmes. 
-- Il est évident, dit-elle en souriant à son amie à travers ses pleurs, que 
tu aurais été distraite par mille autres soins également sacrés, et qu'elle 
eût été plus à plaindre qu'elle ne l'est. 
-- Je l'entends remuer, dit Pauline; et elle passa vivement, mais avec 
assez d'adresse pour ne pas faire le moindre bruit, dans la chambre 
voisine. 
Laurence la suivit sur la pointe du pied, et vit la vieille femme aveugle 
étendue sur son lit en forme de corbillard. Elle était jaune et luisante.
Ses yeux hagards et sans vie lui donnaient absolument l'aspect d'un 
cadavre. Laurence recula, saisie d'une terreur involontaire. Pauline 
s'approcha de sa mère, pencha doucement son visage vers ce visage 
affreux, et lui demanda bien bas si elle dormait. L'aveugle ne répondit 
rien, et se tourna vers la ruelle du lit. Pauline arrangea ses couvertures 
avec soin sur ses membres étiques, referma doucement le rideau, et 
reconduisit son amie dans le salon. 
-- Causons, lui dit-elle; ma mère se lève tard ordinairement. Nous 
avons quelques heures pour nous reconnaître; nous trouverons bien un 
moyen de réveiller son ancienne amitié pour toi. Peut-être suffira-t-il de 
lui dire que tu es là! Mais, dis-moi, Laurence, tu as pu croire que je te... 
Oh! je ne dirai    
    
		
	
	
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