ce sont mes étoffes qui dansent, mes belles 
étoffes du bon Dieu, sur le cher corps de tous ces braves et loyaux 
seigneurs. 
L'ORFÈVRE. 
Il en danse plus d'une qui n'est pas payée, voisin; ce sont celles-là qu'on 
arrose de vin et qu'on frotte sur les murailles avec le moins de regret. 
Que les grands seigneurs s'amusent, c'est tout simple,--ils sont nés pour 
cela; mais il y a des amusements de plusieurs sortes, entendez-vous?
LE MARCHAND. 
Oui, oui, comme la danse, le cheval, le jeu de paume et tant d'autres. 
Qu'entendez-vous vous-même, père Mondella? 
L'ORFÈVRE. 
Cela suffit;--je me comprends.--C'est-à-dire que les murailles de tous 
ces palais-là n'ont jamais mieux prouvé leur solidité. Il leur fallait 
moins de force pour défendre les aïeux de l'eau du ciel, qu'il ne leur en 
faut pour soutenir les fils quand ils ont trop pris de leur vin. 
LE MARCHAND. 
Un verre de vin est de bon conseil, père Mondella. Entrez donc dans ma 
boutique que je vous montre une pièce de velours. 
L'ORFÈVRE. 
Oui, de bon conseil et de bonne mine, voisin; un bon verre de vin vieux 
a une bonne mine au bout d'un bras qui a sué pour le gagner; on le 
soulève gaiement d'un petit coup, et il s'en va donner du courage au 
coeur de l'honnête homme qui travaille pour sa famille. Mais ce sont 
des tonneaux sans vergogne, que tous ces godelureaux de la cour. A qui 
fait-on plaisir en s'abrutissant jusqu'à la bête féroce? A personne, pas 
même à soi, et à Dieu encore moins. 
LE MARCHAND. 
Le carnaval a été rude, il faut l'avouer; et leur maudit ballon m'a gâté de 
la marchandise pour une cinquantaine de florins[A]. Dieu merci! les 
Strozzi l'ont payé. 
[Note A: C'était l'usage au carnaval de traîner dans les rues un énorme 
ballon qui renversait les passants et les devantures des boutiques. Pierre 
Strozzi avait été arrêté pour ce fait. (Note de l'auteur.)] 
L'ORFÈVRE.
Les Strozzi! Que le ciel confonde ceux qui ont osé porter la main sur 
leur neveu! Le plus brave homme de Florence, c'est Philippe Strozzi. 
LE MARCHAND. 
Cela n'empêche pas Pierre Strozzi d'avoir traîné son maudit ballon sur 
ma boutique, et de m'avoir fait trois grandes taches dans une aune de 
velours brodé. A propos, père Mondella, nous verrons-nous à 
Montolivet? 
L'ORFÈVRE. 
Ce n'est pas mon métier de suivre les foires; j'irai cependant à 
Montolivet par piété. C'est un saint pèlerinage, voisin, et qui remet tous 
les péchés. 
LE MARCHAND. 
Et qui est tout à fait vénérable, voisin, et qui fait gagner les marchands 
plus que tous les autres jours de l'année. C'est plaisir de voir ces bonnes 
dames, sortant de la messe, manier, examiner toutes les étoffes. Que 
Dieu conserve Son Altesse! La cour est une belle chose. 
L'ORFÈVRE. 
La cour! le peuple la porte sur le dos, voyez-vous. Florence était encore 
(il n'y a pas longtemps de cela) une bonne maison bien bâtie; tous ces 
grands palais, qui sont les logements de nos grandes familles, en étaient 
les colonnes. Il n'y en avait pas une, de toutes ces colonnes, qui 
dépassât les autres d'un pouce; elles soutenaient à elles toutes une 
vieille voûte bien cimentée, et nous nous promenions là-dessous sans 
crainte d'une pierre sur la tête. Mais il y a de par le monde deux 
architectes malavisés qui ont gâté l'affaire; je vous le dis en confidence, 
c'est le pape et l'empereur Charles. L'empereur a commencé par entrer 
par une assez bonne brèche dans la susdite maison. Après quoi, ils ont 
jugé à propos de prendre une des colonnes dont je vous parle, à savoir 
celle de la famille des Médicis, et d'en faire un clocher, lequel clocher a 
poussé comme un champignon de malheur dans l'espace d'une nuit. Et
puis, savez-vous, voisin? comme l'édifice branlait au vent, attendu qu'il 
avait la tête trop lourde et une jambe de moins, on a remplacé le pilier 
devenu clocher par un gros pâté informe fait de boue et de crachat, et 
on a appelé cela la citadelle: les Allemands se sont installés dans ce 
maudit trou comme des rats dans un fromage, et il est bon de savoir que, 
tout en jouant aux dés et en buvant leur vin aigrelet, ils ont l'oeil sur 
nous autres. Les familles florentines ont beau crier, le peuple et les 
marchands ont beau dire, les Médicis gouvernent au moyen de leur 
garnison; ils nous dévorent comme une excroissance vénéneuse dévore 
un estomac malade; c'est en vertu des hallebardes qui se promènent sur 
la plate-forme, qu'un bâtard, une moitié de Médicis, un butor que le ciel 
avait fait pour être garçon boucher ou valet de charrue, couche dans le 
lit de nos filles, boit nos bouteilles, casse nos vitres; et encore le 
paye-t-on pour cela. 
LE MARCHAND. 
Peste! peste! comme vous y allez! vous avez    
    
		
	
	
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