encore les
conquérants; qui sait ce que penseront de nous nos enfants? Un jour
peut-être ils se riront de notre barbarie, comme nous de celle de nos
pères, et ils n'auront pas tort. Vienne le jour où cette gloire si creuse, et
qui coûte si cher, ne sera plus qu'un conte de fées!
[Note 1: Il a été traduit par Dasent, dans ses Popular Tales from The
Norse. Edimbourg, 1859.]
[Note 2: Exode, chap. xii, vers. 36.]
II
LE PETIT HOMME GRIS
Au temps jadis (je parle de trois ou quatre cents ans), il y avait à
Skalholt, en Islande, un vieux paysan qui n'était pas plus riche d'esprit
que d'avoir. Un jour que le bonhomme était à l'église, il entendit un
beau sermon sur la charité.--«Donnez, mes frères, donnez, disait le
prêtre; le Seigneur vous le rendra au centuple.» Ces paroles, souvent
répétées, entrèrent dans la tête du paysan et y brouillèrent le peu qu'il
avait de cervelle. A peine rentré chez lui, il se mit à couper les arbres de
son jardin, à creuser le sol, à charrier des pierres et du bois, comme s'il
allait construire un palais.
--Que fais-tu là, mon pauvre homme? lui demanda sa femme.
--Ne m'appelle plus mon pauvre homme, dit le paysan d'un ton solennel;
nous sommes riches, ma chère femme, ou du moins nous allons l'être.
Dans quinze jours je vais donner ma vache...
--Notre seule ressource! dit la femme; nous mourrons de faim!
--Tais-toi, ignorante, reprit le paysan; on voit bien que tu n'entends rien
au latin de M. le curé. En donnant notre vache, nous en recevrons cent
comme récompense; M. le curé l'a dit, c'est parole d'Évangile. Je
logerai cinquante bêtes dans cette étable que je construis, et, avec le
prix des cinquante autres, j'achèterai assez de pré pour nourrir notre
troupeau en été comme en hiver. Nous serons plus riches que le roi.
Et, sans s'inquiéter des prières ni des reproches de sa femme, notre
maître fou se mit à bâtir son étable, au grand étonnement des voisins.
L'oeuvre achevée, le bonhomme passa une corde au cou de sa vache et
la mena tout droit chez le curé. Il le trouva qui causait avec deux
étrangers qu'il ne regarda guère, tant il était pressé de faire son cadeau
et d'en recevoir le prix. Qui fut étonné de cette charité de nouvelle
espèce, ce fut le pasteur. Il fit un long discours à cette brebis imbécile,
pour lui démontrer que Notre-Seigneur n'avait jamais parlé que de
récompenses spirituelles; peine perdue, le paysan répétait toujours:
«Vous l'avez dit, monsieur le curé, vous l'avez dit.» Las enfin de
raisonner avec une brute pareille, le pasteur entra dans une sainte colère
et ferma sa porte au nez du paysan, qui resta dans la rue tout ébahi,
répétant toujours: «Vous l'avez dit, monsieur le curé, vous l'avez dit.»
Il fallut reprendre le chemin du logis; ce n'était pas chose facile. On
était au printemps, la glace fondait, le vent soulevait la neige en
tourbillons. A chaque pas l'homme glissait, la vache beuglait et refusait
d'avancer. Au bout d'une heure, le paysan avait perdu son chemin et
craignait de perdre la vie. Il s'arrêta tout perplexe, maudissant sa
mauvaise fortune et ne sachant plus que faire de l'animal qu'il traînait.
Tandis qu'il songeait tristement, un homme chargé d'un grand sac
s'approcha de lui et lui demanda ce qu'il faisait là avec sa vache, et par
un si mauvais temps.
Quand le paysan lui eut raconté sa peine: «Mon brave homme, lui dit
l'étranger, si j'ai un conseil à vous donner, c'est de faire un échange
avec moi. Je demeure près d'ici; cédez-moi votre vache que vous ne
ramènerez jamais chez vous, et prenez-moi ce sac; il n'est pas trop
lourd, et tout ce qu'il contient est bon: c'est de la chair et des os.»
Le marché fait, l'étranger emmena la vache avec lui; le paysan chargea
sur son dos le sac, qu'il trouva terriblement pesant. Une fois rentré au
logis, comme il craignait les reproches et les railleries de sa femme, il
conta tout au long les dangers qu'il avait courus, et comment, en
homme habile, il avait échangé une vache qui allait mourir contre un
sac qui contenait des trésors. En écoutant cette belle histoire, la femme
commença à montrer les dents; le mari la pria de garder pour elle sa
mauvaise humeur, et de mettre dans l'âtre son plus grand
pot-au-feu.--Tu verras ce que je t'apporte, lui répétait-il; attends un peu,
tu me remercieras.
Disant cela, il ouvrit le sac; et voilà que de cette profondeur sort un
petit homme tout habillé de gris comme une souris.
--Bonjour, braves gens, dit-il avec la fierté d'un prince! Ah ça, j'espère
qu'au lieu de me faire bouillir vous allez me servir à manger. Cette
petite

Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.