Nouveaux contes bleus | Page 6

Edouard Laboulaye
main sur ton maître?
Et, saisissant son poignard, le roi allait en frapper l'officier quand
celui-ci, tout entier à sa défense, d'une main saisit le bras du roi, et de
l'autre lui enfonça sa dague dans le cou. Le sang jaillit à gros bouillons;
le prince tomba, entraînant dans ses dernières convulsions son
meurtrier avec lui.
Au milieu des cris et du tumulte, le chef des gardes se releva
promptement, et, tirant son épée:
--Messieurs, dit-il, le tyran est mort. Vive la liberté! Je me fais roi et
j'épouse la reine. Si quelqu'un s'y oppose, qu'il parle, je l'attends.

--_Vive le roi!_ crièrent tous les courtisans; il y en eut même
quelques-uns qui, profitant de l'occasion, tirèrent une pétition de leur
poche. La joie était universelle et touchait au délire, quand tout à coup,
l'oeil terrible et la hache au poing, Briam parut devant l'usurpateur.
[Illustration: En ce moment, la reine entra tout effarée et se jeta aux
pieds de Briam.]
--Chien, fils de chien, lui dit-il, quand tu as tué les miens, tu n'as pensé
ni à Dieu ni aux hommes. A nous deux, maintenant!
Le chef des gardes essaya de se mettre en défense. D'un coup furieux
Briam lui abattit le bras droit, qui pendit comme une branche coupée.
--Et maintenant, cria Briam, si tu as un fils, dis-lui qu'il te venge,
comme Briam le fou venge aujourd'hui son père.
Et il lui fendit la tête en deux morceaux.
--_Vive Briam!_ crièrent les courtisans; _vive notre libérateur!_
En ce moment, la reine entra tout effarée et se jeta aux pieds du fou en
l'appelant son vengeur. Briam la releva, et, se mettant auprès d'elle en
brandissant sa hache sanglante, il invita tous les officiers à prêter
serment à leur légitime souveraine.
--_Vive la reine!_ crièrent tous les assistants. La joie était universelle et
touchait au délire.
La reine voulait retenir Briam à la cour; il demanda à retourner dans sa
chaumière, et ne voulut pour toute récompense que le pauvre animal,
cause innocente de tant de maux. Arrivée à la porte de la maison, la
vache se mit à appeler en mugissant ceux qui ne pouvaient plus
l'entendre. La pauvre femme sortit en pleurant.
--Mère, lui dit Briam, voici Bukolla, et vous êtes vengée.
IV
Ainsi finit l'histoire. Que devint Briam? Nul ne le sait. Mais dans tout
le pays on montre encore les ruines de la masure où habitaient Briam et
ses frères, et les mères disent aux enfants: «C'est là que vivait celui qui
a vengé son père et consolé sa mère.» Et les enfants répondent: «Nous
ferions comme lui.»
V
L'autre histoire est une histoire de voleurs. Aujourd'hui de pareils récits
ont pour nous quelque chose de choquant, nous avons peu d'estime
pour cette adresse qui mène aux galères. Il n'en était pas ainsi chez les
peuples primitifs. Hérodote ne se fait faute de nous réciter tout au long

une histoire égyptienne qui se retrouve en Orient et qui n'est
visiblement qu'un conte de fées. Au livre d'Euterpe[1] on peut voir quel
moyen plus que bizarre emploie le roi Rhampsinite pour saisir l'adroit
voleur qui lui a pillé son trésor, et comment, trois fois trompé, comme
roi, comme justicier et comme père, il ne trouve rien de mieux à faire
que de prendre pour gendre ce brigand audacieux et rusé. «Rhampsinite,
dit l'historien, lui fit un grand accueil et lui donna sa fille, comme au
plus habile de tous les hommes, puisque, les Égyptiens étant supérieurs
à tous les autres peuples, il s'était montré supérieur à tous les
Égyptiens.» On voit que la vanité nationale est de même date que les
contes des fées.
[Note 1: Hérodote, liv. II, chap. cxxi.]
Ces histoires de voleurs abondent dans les recueils. Sous le nom du
_Maître voleur_, M. Asbjoernsen a publié un conte norvégien qui
ressemble beaucoup à celui qu'on va lire[1]. Ce qui frappe dans tous
ces récits, c'est l'admiration naïve du conteur pour les exploits de son
héros. L'esprit humain a passé par cette étape depuis longtemps
abandonnée. Les Grecs admiraient Ulysse, qui n'était pas à demi voleur;
les Romains adoraient Mercure. Les Juifs, fuyant l'Egypte, ne se
faisaient faute de suivre le conseil de Moïse et d'emprunter aux
Égyptiens des vases d'argent, des vases d'or et des habits qu'ils ne
devaient jamais rendre. «Or, dit la Bible[2], le Seigneur rendit les
Égyptiens favorables à son peuple, afin qu'ils donnassent aux enfants
d'Israël ce qu'ils demandaient. Ainsi ils dépouillèrent les Égyptiens.»
Le procédé révolte notre délicatesse; il est probable que les Juifs s'en
glorifiaient comme d'une adresse héroïque. Apprenons par là à ne pas
toujours mesurer le monde à la mesure de nos idées d'aujourd'hui. Nos
aïeux, il y a vingt ou trente siècles, admiraient les voleurs, nos pères
admiraient les Heiduques et les Klephtes, nous admirons
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