France, et ce fut après un mémorable 
triomphe à l'Opéra, que le brillant capitaine lui dit les premiers mots 
d'amour. 
Elle aimait Raymond: elle l'aimait de toute sa jeunesse, de tout son 
sang; elle s'était livrée tout entière, et elle le voulait tout entier. Ses 
autres amants--les amours de passage--elle les oubliait, rajeunie d'une 
foi nouvelle. 
Pourquoi l'abandonnait-il? D'abord, elle attribua la cause des nervosités 
du jeune officier à la sinistre liqueur dont elle cherchait vainement à 
interdire l'usage, mais, l'autre soir, en voyant Raymond dans la loge de 
Mme de Montreu, la Stradowska eut la pensée d'une rivale. Tandis que 
sur la scène, elle jouait pour lui, indifférente aux bravos et au feu des 
jumelles, Pontaillac se tenait à la droite de la marquise Blanche, et il ne 
regardait Christine que lorsque le marquis Olivier regardait Madame. 
Lui, si élégant, il prenait là-haut des allures de collégien, et la diva le 
vit trembler et rougir, quand le marquis aida sa femme à mettre une 
sortie de bal. 
La trahison était-elle accomplie ou seulement en voie d'espérance? 
Christine l'ignorait encore. Que pouvait-il reprocher à sa fidèle 
maîtresse? Est-ce qu'elle lui coûtait trop d'argent? Non, car outre que 
l'engagement à l'Opéra et les honoraires des soirées mondaines 
assuraient le train de l'hôtel, la diva possédait quelques rentes. 
Pontaillac la comblait de fleurs et de bijoux, et si elle faisait mine de 
refuser, il se fâchait. Elle l'aimait, l'adorait, millionnaire, comme elle 
l'aimerait, l'adorerait demain, si les millions venaient à s'évanouir. 
Et ce qui prouvait le désintéressement absolu de Christine, c'est qu'elle
ne songeait point à épouser Raymond: femme, elle le préférait à un 
rang social; artiste, elle le préférait à son art. 
--Monsieur Rajileff est là, madame, vint annoncer une des servantes. 
--Qu'il entre! 
De nouveau, couchée sur l'amas de fourrures, Christine éloigna ses 
lévriers et tendit la main au visiteur. 
--Je m'ennuie, Loris. 
Très respectueusement, l'homme, un grand et maigre vieillard à favoris 
grisâtres, parla de la répétition quotidienne. 
--Non, je ne chanterai pas aujourd'hui, et je ne chanterai peut-être plus 
jamais, déclara Christine qui allumait une cigarette. 
--Par les Saintes-Images! C'est impossible! fit l'accompagnateur 
habituel de la diva. 
--Loris? 
--Madame? 
--Est-ce que je suis aussi jolie que les Parisiennes? 
--Bien plus belle! Et le Tout-Paris est unanime à célébrer votre talent et 
votre beauté!... Vous avez lu les journaux? 
--Je m'en moque! 
--Les illustrés donnent votre portrait, et je vous signale un article du 
Rabelais. 
--Ça m'est égal! 
--Il faut vous distraire, madame; il faut travailler. Allons, donnez-moi 
la joie de vous entendre.
--Pas encore, mon bon Rajileff. 
Ils évoquèrent leur pays, les steppes immenses, les fleuves, les 
merveilles du Kremlin, et comme au souvenir des choses lointaines et 
bénies, le calme renaissait sur le visage de la jeune Russe, on entendit 
vibrer le timbre de l'antichambre. 
Christine écouta et ne put réprimer l'effet d'une désillusion. 
--Madame, dit la camériste en entrant, il y a là un monsieur qui insiste 
pour voir Madame. Voici sa carte. 
La Stradowska lut sur le bristol: «César Houdrequin, rédacteur au 
Rabelais.» 
--Je ne connais pas ce monsieur; je ne reçois pas. Sais-tu ce qu'il veut? 
--Il a parlé d'une interview. 
--Les interviews, j'en ai assez! 
Mais la diva réfléchit, et animée de cette idée qu'à force d'éclat, elle 
arriverait à reconquérir son amant, elle pria Loris Rajileff de passer 
dans un salon voisin et reçut le journaliste. 
César Houdrequin, jeune gommeux à monocle, tête brune et frisée, 
avec un nez en lame de sabre et une barbiche de chasseur à pied, 
s'inclinait en homme du monde. 
--Madame, je vous apporte d'abord les compliments du Rabelais. 
--Votre journal, monsieur, répondit la diva, est toujours aimable, et j'en 
suis bien reconnaissante... Veuillez vous asseoir. 
Et pleine de bienveillance, elle offrit une cigarette orientale à 
l'interviewer, qui commença, entre deux bouffées: 
--Chère madame, on a déjà beaucoup écrit sur vous, sur votre talent, sur 
vos charmes, sur votre génie d'artiste; on sait les propositions qui vous
sont faites chaque jour par les plus grands impressarii de l'Amérique; 
on n'ignore pas votre refus hautain d'aller chanter en Allemagne: vous 
Russe, vous vous êtes montrée plus Française que bien des Français. 
Mais, ce n'est pas là le motif de notre interview. Aujourd'hui, le public 
a des exigences considérables, et je dirais que le Rabelais peut les 
satisfaire, si ma modestie n'y était intéressée. Un journal bien informé 
doit à ses lecteurs... presque des indiscrétions. Pardonnez-moi donc, 
madame, et daignez me répondre. Est-il vrai qu'un des grands-ducs de 
Russie a déjeuné chez vous, ce matin, et que... 
La Stradowska l'interrompit vivement: 
--Je n'ai reçu la visite d'aucun duc, monsieur, et je ne comprends pas 
votre interrogation tout au moins bizarre. Je vis ici comme il me plaît, 
et mon existence privée ne regarde personne. 
--Ah! madame, ne vous fâchez pas! Je vous    
    
		
	
	
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