et plus 
millionnaire qu'Olivier--un voisin, le seigneur du château des Ormes, le 
comte Raymond de Pontaillac, alors lieutenant de cuirassiers. 
Mlle de La Croze n'hésita pas: le grand Raymond l'effrayait, et elle 
choisit Olivier, malgré peut-être les désirs de son père. 
Les relations se firent très rares entre les Montreu-La Croze et 
Pontaillac. Cependant, après la naissance de Jeanne, l'officier en congé 
se présenta aux Tuilières. Désormais, tout nuage s'évanouit; Raymond 
traitait Blanche en camarade, parlait à Olivier de ses maîtresses.
A Paris, le feu s'était réveillé, embrasant le coeur et les sens du 
capitaine, et l'homme dut abriter sa passion irrésistible, sous les dehors 
d'un violent amour, d'un amour de parade pour la Stradowska. 
 
III 
Villa Saïd, dans une vaste pièce au plafond de cristal et aux murailles 
tapissées de satin rouge et piquées d'objets étranges, de trophées, de 
faïences, de poignards, de fusils, de lances, de haches, de fouets de 
chasse, de têtes d'animaux, de cornes, de flamberges, de spontons, de 
hallebardes, d'ombrelles chinoises, de masques, de chapeaux mexicains, 
de sabres russes, Christine, allongée sur une montagne de peaux de 
bêtes, caressait tendrement ses deux grands lévriers noirs, Bog et 
Tolgo. 
Elle était drapée d'un peignoir cachemire chaudron ouvert à partir de la 
taille sur un panneau de satin soufre brodé de chrysanthèmes, le fond 
travaillé en petits plis à la lingère; elle se souleva, prit un miroir, et 
devant son visage d'une irrégulière et fraîche beauté, devant sa blonde 
et magnifique chevelure, ses yeux bleus, d'un bleu saphir, son nez 
gracieux, ses lèvres vermeilles et d'une chair neuve, ses jolies dents, 
elle sourit d'un sourire qui disait à la fois l'orgueil de se trouver belle et 
le chagrin d'être seule à aimer. 
Au-dessus d'elle, un dais de soie vieux rose brochée de blanches 
marguerites, avec des hampes d'étendards que terminaient des gueules 
de dragons en bronze, lui faisait une lumière douce, dans la 
fantasmagorie des étoffes, l'éclat des ors, des plumes et des fleurs. Çà et 
là, des palmiers, des dracoenas, des gynériums, des corbeilles de lilas 
blanc, des éventails de plumes d'autruche, des paons et des aigles 
empaillés, des mimosas, des jasmins d'Espagne, des camélias, des 
primevères, des rhododendrons, une orgie de roses, une sardanapale de 
verdure, et tout le long du temple, des peaux de bêtes jetées, gardant 
des apparences vivantes de lions, de tigres, de jaguars, de buffles, de 
castors, de renards, de loups, d'ours, d'hyènes et de crocodiles.
Les dressoirs d'ébène supportaient un nombre infini d'artistiques 
richesses, des curiosités de tous les âges et de tous les peuples: émaux, 
saxes, ivoires, laques, bibelots de marbre, de serpentine, de bronze, 
d'argent et d'or. 
En face de la monumentale cheminée de granit, une immense volière 
aux barreaux dorés et aux cascades versicolores, comme les fontaines 
lumineuses de l'Exposition, donnait asile à un monde d'oiseaux, et sous 
le ruissellement des gerbes liquides et des plumages, une cassolette 
odorante exaltait un millier de chanteurs. 
Si les panoplies variées remontaient au fanon de pourpre des rois francs 
pour se terminer au javelot des Howas, les tableaux, les marbres et les 
bronzes, tous les chefs-d'oeuvre des maîtres anciens et modernes, 
offraient un pittoresque assemblage: les Rubens, les Benvenuto Cellini, 
touchaient les Carpeaux, les Falguière et les Meissonier; une tête de 
Ribot avait à sa droite un paysage de Guillemet; une étude de Puvis de 
Chavannes avait à sa gauche une aquarelle de Forain, et là-bas, sur son 
estrade de velours blanc, trônait un piano à queue, le dernier cri d'Erard. 
Enfin une châsse étincelait de joyaux, lyres, colliers, bracelets, vases, 
rivières, ciboires, hanaps, miniatures, camées, palmes d'argent, fleurs 
de rubis, couronnes d'or,--des souvenirs de princes, de rois, d'empereurs, 
autant d'hommages, autant de lyriques victoires. 
Maintenant, la Stradowska allait et venait, fiévreuse, en relisant une 
lettre de Pontaillac, une lettre de banales excuses où Raymond 
cherchait à justifier son absence. 
--Il ment! grondait-elle... Il ment!... Il ment!... 
Sa taille imposante se dressait dans un vent de colère, et ses petits 
doigts claquaient, rageurs. Elle s'arrêta près d'un guéridon encombré de 
livres, de journaux, de partitions, de feuilles illustrées. On voyait là des 
dédicaces de musiciens et d'auteurs illustres, des articles élogieux, des 
portraits du dernier rôle, des lettres de Gounod, de Massenet, de 
Saint-Saëns, les félicitations enthousiastes des grands compositeurs 
russes, Cui, Rimsky-Korsakoff, Glazounow, Liadow, Lavroff, Beleff, 
une véritable moisson de gloire--et Christine, désolée, envoya d'un
coup d'escarpin, toute la moisson au diable-vauvert. 
Fille d'un officier russe, orpheline élevée à Moscou, dans 
l'Institut-Catherine qui est pour les grandes demoiselles de là-bas ce 
que sont nos maisons de la Légion d'honneur pour les filles des 
légionnaires, Christine avait une âme d'artiste. Elle charmait directrices 
et compagnes de sa voix chaude et vibrante, et au sortir de l'Institut, 
elle courut l'Europe. Les succès de Pétersbourg, de Milan, de Vienne et 
de Londres l'appelaient en    
    
		
	
	
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