Or, sauf par la route directe qui joint Ekaterinbourg à Irkoutsk, les
steppes, souvent marécageuses, ne sont pas aisément praticables, et plusieurs semaines
s'écouleraient certainement avant que les troupes russes pussent se trouver en mesure de
repousser les hordes tartares.
Omsk est le centre de l'organisation militaire de la Sibérie occidentale qui est destinée à
tenir en respect les populations kirghises. Là sont les limites que ces nomades,
incomplètement soumis, ont plus d'une fois insultées, et, au ministère de la guerre, on
avait tout lieu de penser qu'Omsk était déjà très-menacé. La ligne des colonies militaires,
c'est-à-dire de ces postes de Cosaques qui sont échelonnés depuis Omsk jusqu'à
Sémipalatinsk, devait avoir été forcée en plusieurs points. Or, il était à craindre que les
«grands sultans» qui gouvernent les districts kirghis n'eussent accepté volontairement ou
subi involontairement la domination des Tartares, musulmans comme eux, et qu'à la
haine provoquée par l'asservissement ne se fût jointe la haine due à l'antagonisme des
religions grecque et musulmane.
Depuis longtemps, en effet, les Tartares du Turkestan, et principalement ceux des khanats
de Boukhara, de Khokhand, de Koundouze, cherchaient, aussi bien par la force que par la
persuasion, à soustraire les hordes kirghises à la domination moscovite.
Quelques mots seulement sur ces Tartares.
Les Tartares appartiennent plus spécialement à deux races distinctes, la race caucasique
et la race mongole.
La race caucasique, celle, a dit Abel de Rémusat, «qui est regardée en Europe comme le
type de la beauté de notre espèce, parce que tous les peuples de cette partie du monde en
sont issus,» réunit sous une même dénomination les Turcs et les indigènes de souche
persane.
La race purement mongolique comprend les Mongols, les Mandchous et les Thibétains.
Les Tartares, qui menaçaient alors l'empire russe, étaient de race caucasique et
occupaient plus particulièrement le Turkestan. Ce vaste pays est divisé en différents États,
qui sont gouvernés par des khans, d'où la dénomination de khanats. Les principaux
khanats sont ceux de Boukhara, de Khiva, de Khokband, de Koundouze, etc.
A cette époque, le khanat le plus important et le plus redoutable était celui de Boukhara.
La Russie avait déjà eu à lutter plusieurs fois avec ses chefs, qui, dans un intérêt
personnel et pour leur imposer un autre joug, avaient soutenu l'indépendance des Kirghis
contre la domination moscovite. Le chef actuel, Féofar-Khan, marchait sur les traces de
ses prédécesseurs.
Ce Khanat de Boukhara s'étend du nord au sud, entre les trente-septième et quarante et
unième parallèles, et de l'est à l'ouest, entre les soixante et unième et soixante-sixième
degrés de longitude, c'est-à-dire sur une surface d'environ dix mille lieues carrées.
On compte dans cet État une population de deux millions cinq cent mille habitants, une
armée de soixante mille hommes, portée au triple en temps de guerre, et trente mille
cavaliers. C'est un pays riche, varié dans ses productions animales, végétales, minérales,
et qui a été agrandi par l'accession des territoires de Balkh, d'Aukoï et de Meïmaneh. Il
possède dix-neuf villes considérables. Boukhara, ceinte d'une muraille mesurant plus de
huit milles anglais et flanquée de tours, cité glorieuse qui fut illustrée par les Avicenne et
autres savants du Xè siècle, est regardée comme le centre de la science musulmane et
rangée parmi les plus célèbres de l'Asie centrale; Samarcande, qui possède le tombeau de
Tamerlan et palais célèbre où l'on garde cette pierre bleue sur laquelle chaque nouveau
khan doit venir s'asseoir à son avènement, est défendue par une citadelle extrêmement
forte; Karschi, avec sa triple enceinte, située dans une oasis qu'entoure un marais peuplé
de tortues et de lézards, est presque imprenable; Tschardjoui est défendue par une
population de près de vingt mille âmes; enfin, Katia-Kourgan, Nourata, Djizah, Païkande,
Karakoul, Khouzar, etc., forment un ensemble de villes difficiles à réduire. Ce khanat de
Boukhara, protégé par ses montagnes, isolé par ses steppes, est donc un État
véritablement redoutable, et la Russie serait forcée de lui opposer des forces importantes.
Or, c'était l'ambitieux et farouche Féofar qui gouvernait alors ce coin de la Tartarie.
Appuyé sur les autres khans,--principalement ceux de Khokhand et de Koundouze,
guerriers cruels et pillards, tout disposés à se jeter dans des entreprises chères à l'instinct
tartare,--aidé des chefs qui commandaient à toutes les hordes de l'Asie centrale, il s'était
mis à la tête de cette invasion, dont Ivan Ogareff était l'âme. Ce traître, poussé par une
ambition insensée autant que par la haine, avait régularisé le mouvement de manière à
couper la grande route sibérienne. Fou, en vérité, s'il croyait pouvoir entamer l'empire
moscovite! Sous son inspiration, l'émir--c'est le titre que prennent les khans de
Boukhara--avait lancé ses hordes au delà de la frontière russe. Il avait envahi le
gouvernement de Sémipalatinsk, et les Cosaques, qui se trouvaient en trop petit nombre
sur ce point, avaient dû reculer devant lui.

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