Mademoiselle Clocque | Page 9

René Boylesve
impatience touchant le sermon de M. l'abb�� Janvier, vicaire g��n��ral.
Cependant, quand il parla, on eut la secousse du coup de foudre attendu et qui surprend infailliblement.
C'��tait un homme tr��s savant et tr��s ��cout�� qui, six mois de l'ann��e, faisait �� la chapelle Saint-Martin une sorte d'instruction positive et document��e agr��able aux esprits pr��cis. Il s'enflammait rarement et ne parlait que pour dire quelque chose, ce qui lui valait une r��putation d'originalit�� diversement appr��ci��e. Quelques-uns le trouvaient froid et sec, d'autres un peu terre �� terre, sous le pr��texte qu'il s'attachait plut?t �� l'histoire religieuse qu'�� la th��ologie; certains l'accusaient d'avoir l'esprit protestant.
Du m��me ton impassible et un peu monotone qu'il employait �� raconter les batailles de Constantin, il aborda le sujet br?lant de la construction d'une ��glise digne des pr��cieux restes de saint Martin. Il tenait, comme toujours, dans la main gauche, sa montre d'argent assujettie par une petite ganse noire qui enmaillottait l'annulaire. Il parlait vingt minutes, jamais plus, et son seul geste consistait �� regarder l'heure au creux de sa main.
Il affecta d'ignorer absolument qu'il e?t jamais ��t�� question de construire une Basilique. A l'entendre, c'��tait l�� un projet dont il n'avait m��me pas eu vent. Il d��cida que l'heure ��tait venue de r��aliser le voeu cher �� tous les chr��tiens. Grace �� la g��n��rosit�� des fid��les, les capitaux recueillis ��taient suffisants non seulement �� entamer, mais �� parachever, dans un d��lai ais��ment appr��ciable, le pieux ��difice appel�� �� remplacer la pr��sente chapelle provisoire. On e?t dit qu'il s'agissait de construire un bazar pour une vente de charit��. A aucun instant le souffle de l'enthousiasme n'��branla sa parole. Et il y avait l�� des centaines de personnes qui eussent vendu leur lit pour voir surgir le monument grandiose, le manifeste universel de la puissance catholique!
M. l'abb�� Janvier poursuivait l'��num��ration des travaux prochains. Il poss��dait pierre par pierre la future ��glise de Saint-Martin. Il en connaissait les moindres d��tails. Aucun terme technique ne lui manquait ni ne lui faisait peur. Il ne s'excusa point de prononcer des chiffres, et de donner �� son allocution l'allure d'un m��moire d'architecte, au pied m��me des autels. C'��tait, �� lui, sa m��thode. Au lieu d'��voquer dans les esprits l'id��e du monument �� l'aide d'images apocalyptiques, il en dressait petit �� petit les assises solides, ��tay��es �� mesure sur ce qu'il ne craignait point d'appeler: ?ce point d'appui essentiel: les capitaux disponibles?.
Personne ne broncha. Autour de cette parole glaciale l'air lui-m��me se figeait. Les assistants se p��trifiaient. Par tant de flegme et d'audace ils semblaient an��antis. M. Janvier en qualit�� de vicaire g��n��ral ��tait le porte-parole de l'archev��ch��. Ce que l'on annon?ait l��, c'��tait l'irr��vocable. Demain, probablement, les ouvriers entoureraient d��j�� cette chapelle noble et belle dans sa pauvret�� toute nue, pour la remplacer par l'odieuse construction moderne dont le dessin et la plate silhouette ��taient en ce moment si distinctement ��voqu��s par les plates expressions de M. Janvier.
Peu �� peu, une sorte de d��gel se produisant �� la suite de la premi��re surprise, des t��tes se tourn��rent, on ��changea des regards significatifs, une houle passa sur les ��paules. Le respect du saint lieu interdisait toute manifestation. Pas un fid��le ne sortit. Mais on sentait comme �� certains jours, sous la surface terne de la mer, la lame profonde, plus dangereuse que la temp��te.
Quand la vingti��me minute fut ��coul��e, M. l'abb�� Janvier avait achev�� de d��crire jusqu'�� la pointe du clocher futur et de prouver la possibilit�� mat��rielle de son ex��cution. Alors, comme un ma?on parvenu au fa?te de son ouvrage y plante un petit drapeau, il dit un mot qui, d'un seul coup, parut r��sumer toutes ses r��ticences et faire claquer son pli impertinent sur les creuses chim��res d'une partie des cervelles pr��sentes: ?Mes fr��res, il faut ��tre de son temps. Ainsi-soit-il.? Puis il fit son signe de croix et continua la messe.
On se contint jusqu'�� la fin; mais la sortie fut fi��vreuse. L'officiant n'avait pas ferm�� le livre sur le dernier ��vangile, que nombre de personnes se hataient vers la porte, press��es d'��changer leurs impressions. D'ordinaire, beaucoup descendaient �� la crypte d��poser un cierge pr��s du tombeau. Seuls, quelques soldats et des femmes pauvres se dirig��rent aujourd'hui du c?t�� de l'escalier. La porte ext��rieure, sur la rue Descartes, ��tait comparable �� l'ouverture d'une ruche d'abeilles.
--Ayez piti��, messieurs, mesdames, ayez piti�� d'un pauvre aveugle...
La malheureuse pri��re de l'aveugle ��tait couverte par la rumeur bourdonnante d'une centaine de femmes qui aussit?t �� l'air libre ��clataient, laissaient fuser �� grands jets leur indignation et leur col��re. Elles restaient l��, sur place, coude �� coude, par groupes confus qui se d��formaient ou se p��n��traient d'un simple pivotement sur les talons, une phrase commenc��e au nez de quelqu'un s'achevant brusquement contre une autre figure: propos sans suite, incoh��rents, mais s'embo?tant les uns les autres �� cause d'une
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