approfite tout, qui dispose tout, qui agit, qui domine et qui règne: toutes aultres choses sont aveugles, sourdes et sans ame. Certes, nous le rendons servile et couard, pour ne luy laisser la liberté de rien faire de soy.
S?avoir par coeur n'est pas s?avoir: c'est tenir ce qu'on a donné en garde à sa mémoire. Ce qu'on s?ait droictement, on en dispose sans regarder au patron, sans tourner les yeulx vers son livre.... En cette eschole[8] du commerce des hommes, j'ay souvent remarqué ce vice, qu'au lieu de prendre cognoissance d'aultruy nous ne travaillons qu'à la donner de nous, et sommes plus en peine de debiter nostre marchandise, que d'en acquérir de nouvelle: le silence et la modestie sont qualitez très commodes à la conversation.... On luy apprendra de n'entrer en discours et contestation que là où il verra un champion digne de sa luicte,[9] et là mesme, à n'employer pas touts les tours qui luy peuvent servir, mais ceulx là seulement qui luy peuvent le plus servir. Qu'on le rende délicat au chois et triage de ses raisons, et aymant la pertinence et par conséquent la briefveté. Qu'on l'instruise sur tout à se rendre et à quitter les armes à la vérité aussitost qu'il l'appercevra, soit qu'elle naisse ez[10] mains de son adversaire, soit qu'elle naisse en luy-mesme par quelque radvisement.[11]
[Footnote 8: "Eschole," école.]
[Footnote 9: "Luicte," lutte.]
[Footnote 10: "Ez," aux.]
[Footnote 11: "Radvisement," ravisement.]
Qu'on luy mette en fantasie une honneste curiosité de s'enquerir de toutes choses.... Il se tire une merveilleuse clarté, pour le jugement humain, de la frequentation du monde: nous sommes tous contraincts et amoncelez en nous, et avons la veue[12] raccourcie à la longueur de nostre nez.
[Footnote 12: "Venue," vue.]
On demandoit à Socrates d'ou il estoit, il ne respondit pas d'Athenes, mais du monde; luy qui avoit l'imagination plus pleine et plus estendue embrassoit l'univers comme sa ville, jectoit ses cognoissances, sa société et ses affections à tout le genre humain; non pas comme nous, qui ne regardons que soubs nous. Ce grand monde, que les uns multiplient encores comme especes soubs un genre, c'est le mirouer[13] où il nous fault regarder, pour nous cognoistre de bon biais. Somme, je veulx que ce soit le livre de mon escholier.... Après qu'on luy aura apprins ce qui sert à le faire plus sage et meilleur, on l'entretiendra que c'est que logique, physique, géometrie, rhétorique; et la science qu'il choisira, ayant desia[14] le jugement formé, il en viendra bientost à bout. Sa le?on se fera tantost par devis, tantost par livre....
[Footnote 13: "Mirouer," miroir.]
[Footnote 14: "Desia," déjà.]
C'est grand cas que les choses en soyent là, en nostre siècle, que la philosophie soit, jusques aux gents d'entendement, un nom vain et fantastique qui se treuve de nul usage et de nul prix, par opinion et par effect. Je croy que ces ergotismes en sont cause, qui ont saisi ses avenues. On a grand tort de la peindre inaccessible aux enfants, et d'un usage renfrogné, sourcilleux et terrible.... L'ame qui loge la philosophie doibt, par sa santé, rendre sain encores le corps: elle doibt faire luire jusques au dehors son repos et son ayse, doibt former à son moule le port exterieur, et l'armer par conséquent d'une gratieuse fierté, d'un maintien actif et alaigre, et d'une contenance contente et debonnaire. La plus expresse marque de la sagesse, c'est une esjouissance constante.... Puisque la philosophie est celle qui nous instruit à vivre, et que l'enfance y a sa le?on comme les aultres ages, pourquoy ne la luy communique l'on? On nous apprend à vivre quand la vie est passée.... Je veulx que la bienseance exterieure, et l'entregent et la disposition de la personne se fa?onne quand et quand l'ame. Ce n'est pas une ame, ce n'est pas un corps qu'on dresse, c'est un homme....
C'est un bel et grand adgencement sans doubte que le grec et le latin, mais on l'achète trop cher. Je diray icy une fa?on d'en avoir meilleur marché que de coustume, qui a esté essayée en moy mesme: s'en servira qui vouldra. Feu mon père, ayant faict toutes les recherches qu'un homme peult faire, parmy les gens s?avants et d'entendement, d'une forme d'institution exquise... me donna en charge à un Allemand, qui depuis est mort fameux médecin en France; du tout ignorant de nostre langue, et très versé en la latine.... Il en eut aussi avecques luy deux aultres moindres en s?avoir, pour me suyvre, et soulager le premier: ceulx-cy ne m'entretenoient d'aultre langue que latine. Quant au reste de sa maison, c'etoit une règle inviolable que ny luy mesme, ny ma mère, ni valet, ny chambriere, ne parloient en ma compaignie qu'autant de mots de latin que chascun avoit apprins pour jargonner avec moy. C'est merveille du fruict que chascun y fit.... Quant à moy, j'avoy plus de

Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.