fui...
«Demain! j'irai demain voir ce pauvre chez lui,
«Demain je
reprendrai ce livre ouvert à peine,
«Demain, je te dirai, mon âme, où
je te mène,
«Demain je serai juste et fort... Pas aujourd'hui.»
Aujourd'hui, que de soins, de pas et de visites!
Oh! l'implacable
essaim des devoirs parasites
Qui pullulent autour de nos tasses de thé!
Ainsi chôment le coeur, la pensée et le livre,
Et pendant qu'on se tue à
différer de vivre,
Le vrai devoir dans l'ombre attend la volonté.
[Illustration]
LES FILS
SONNET.
Toi que tes grands aïeux, du fond de leur sommeil,
Accablent sous le
poids d'une illustre mémoire,
Tu n'auras pas senti ton nom dans la
nuit noire
Éclore, et comme une aube y faire un point vermeil!
Je te plains, car peut-être à tes aïeux pareil,
Tu les vaux, mais le
monde ébloui n'y peut croire:
Ton mérite rayonne indistinct dans leur
gloire,
Satellite abîmé dans l'éclat d'un soleil.
Ah! l'enfant dont la souche est dans l'ombre perdue,
Peut du moins
arracher au séculaire oubli
Le nom qu'il y ramasse encore enseveli;
Dans la durée immense et l'immense étendue
Son étoile, qui perce où
d'autres ont pâli,
Peut luire par soi-même et n'est point confondue!
[Illustration]
[Illustration]
LE CONSCRIT.
A la barrière de l'Étoile,
Un saltimbanque malfaisant
Dressait, dans
sa baraque en toile,
Un chien de six mois fort plaisant.
Ce caniche, qui faisait rire
Le public au seuil rassemblé,
Était en
conscrit de l'Empire
Misérablement affublé.
Coiffé d'un bonnet de police,
Il restait là, fusil au flanc,
Debout, les
jambes au supplice
Dans un piteux pantalon blanc;
Le dos sous sa guenille bleue,
Il tentait un regard vainqueur,
Mais
l'anxiété de sa queue
Trahissait l'état de son coeur.
Quand las de sa fausse posture
Le pauvre petit chien savant
Retombait, selon la nature,
Sur ses deux pattes de devant,
Il recevait une âpre insulte
Avec un lâche coup de fouet,
Mais,
digne sous son poil inculte,
Sans crier il se secouait;
Tandis qu'il étreignait son arme
Sous les horions sans broncher,
S'il
se sentait poindre une larme,
Il s'efforçait de la lécher.
Ce qu'on trouvait surtout risible,
Et ce que j'admirais beaucoup,
C'est qu'il avait l'air plus sensible
Au reproche qu'au mauvais coup.
Son maître, pour sa part de lucre,
Lui posait sur le bout du nez
De
vacillants morceaux de sucre,
Plus souvent promis que donnés.
Touché de voir dans ce novice
Tant de vrai zèle à si bas prix,
Quand à la fin de son service
Il rompit les rangs, je le pris.
Or, comme je tenais la bête
Par les oreilles, des deux mains,
L'élevant à hauteur de tête
Pour lire en ses yeux presque humains,
L'expression m'en parut double,
J'y sentais deux soucis jumeaux,
Comme dans l'histrion que trouble
L'obsession de ses vrais maux.
Un génie excédant sa taille
Me semblait étouffer en lui,
Et du vieil
habit de bataille
Forcer le dérisoire étui.
Et j'eus l'illusion fantasque
Que par les yeux de ce roquet
Comme à
travers les trous d'un masque,
Un regard d'homme m'invoquait...
Cet étrange regard fut cause,
J'en fais aux esprits forts l'aveu,
Qu'ami de la métempsycose
En ce moment j'y crus un peu.
Mais bientôt, raillant le prodige:
«Ce bonnet, ce frac suranné,
Serait-ce, pauvre chien, lui dis-je,
Une géhenne de damné?»
Lors j'ouïs une voix pareille
A quelque soupir m'effleurant,
Qui
semblait me dire à l'oreille:
«Oui, plains-moi, j'étais conquérant.»
[Illustration]
[Illustration]
ABDICATION
Je voudrais être, sur la terre,
L'unique héritier des grands rois
Dont
la force et l'éclat font taire
Tous les revendiqueurs des droits,
De ces rois d'Asie et d'Afrique,
Monarques des derniers pays
Où les
maîtres sont, sans réplique,
Sans réserve, encore obéis.
Je verrais, à mon tour idole,
Les trois quarts du monde vivant
Se
prosterner sous ma parole
Comme un champ de blés sous le vent.
Les tributs des races voisines
Feraient affluer par milliers
Les
venaisons dans mes cuisines,
Les vins rares dans mes celliers,
Des chevaux plein mes écuries,
Des meutes traînant leurs valets,
Des marbres, des tapisseries,
Des vases d'or, plein mes palais!
Sous mes mains j'aurais des captives
Belles de pleurs, et sous mes
pieds
Les têtes fières ou craintives
De leurs pères humiliés.
Je posséderais sans conquête
Mon vaste empire, et sans rival!
Dans
la sécurité complète
D'un pouvoir salué légal.
Alors, alors, ô joie intense!
Convoquant mon peuple et ma cour,
Devant la servile assistance
Moi-même, en plein règne, au grand jour,
Avec un cynisme suprême,
Je briserais sur mon genou
Le sceptre
avec le diadème,
Comme un enfant casse un joujou;
De mes épaules accablées
Arrachant le royal manteau,
Aux
multitudes assemblées
Je jetterais l'affreux fardeau;
Pour les déshérités prodigue
Je laisserais tous mes trésors,
Comme
un torrent qui rompt sa digue,
Se précipiter au dehors;
Cessant d'appuyer ma sandale
Sur la nuque des prisonniers,
Je
rendrais la terre natale
Aux plus fameux comme aux derniers;
J'abandonnerais à mes troupes
Tout l'or glorieux des rançons;
Puis
je laisserais dans mes coupes
Boire mes propres échansons;
Sur mes parcs, mes greniers, mes caves,
Par-dessus fossé, grille et
mur,
Je lâcherais tous mes esclaves
Comme des ramiers dans l'azur!
Tout mon harem, filles et veuves,
S'en retournerait au foyer,
Pour
enfanter des races neuves
Que nul tyran ne pût broyer,
Qui ne fussent plus la curée
D'un vainqueur, suppôt de la mort,
Mais serves d'une loi jurée
Dans un libre et paisible accord,
Fondant la cité juste et bonne
Où chaque homme en levant la main
Sent qu'il atteste en sa personne
La dignité

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