en 
tabatière--que Joseph avait oublié de fermer le soir précédent, ils 
remarquèrent que le ciel était pur et virent, pour la première fois cette 
année-là, des hirondelles aller et venir tout affairées sur les toits. Cela 
leur fit pronostiquer qu'on était enfin débarrassé des frimats et que la 
belle saison était définitivement arrivée. Ce leur fut une douce 
consolation, et bientôt l'espoir vint sécher leurs larmes et leur montrer 
l'avenir sous un aspect plus heureux. Ils se vêtirent, c'est-à-dire qu'ils 
rajustèrent tant bien que mal leurs habits sur leurs épaules, puis, après
s'être consultés, décidèrent qu'ils sortiraient comme les autres jours, 
bien que Joseph n'eût point préparé leur provision quotidienne de 
fleurs. 
Ils se dirigèrent vers le centre de Paris, cheminant comme ils en avaient 
l'habitude en se donnant la main. Balthasar les suivit. C'était la 
première fois que le brave chien les accompagnait, et cela les ravissait 
de le voir gambader autour d'eux; car dans sa joie, Balthasar oubliant 
qu'il était vieux, sautait et folâtrait avec la fougue et l'entrain de la 
jeunesse. 
On descendit comme cela le jardin du Luxembourg, en faisant un 
détour pour visiter la pépinière, où la végétation, plus hâtive que dans 
les autres parties du jardin, offrait déjà aux yeux ravis de nos petits 
promeneurs une assez grande variété de fleurs, que faisait 
admirablement ressortir la verdure d'avril, si belle à voir en sa fraîcheur 
et sa jeunesse. César et Aimée, d'ailleurs, se plaisaient au milieu de ces 
arbustes presque tous indigènes, ou, du moins, qu'une longue 
acclimatation nous a rendus familiers. Ils en savaient les noms; c'étaient 
d'anciens amis. Ils aimaient aussi à voir les pêchers, les poiriers, les 
cerisiers, les amandiers se couvrir de fleurs; puis à considérer comment, 
en quelques mois, se formaient et mûrissaient les belles grappes de 
raisin qu'on apercevait au milieu du feuillage épais et dentelé de la 
vigne. 
L'aspect de toutes ces choses, aussi belles qu'intéressantes, faisait rêver 
César; il lui semblait toujours qu'il les connaissait de longue date et 
pour les avoir vues ailleurs qu'à Paris. 
Mes amis étaient fort au courant des différentes époques où mûrissaient 
les fruits de la pépinière, car tous les matins ils venaient les admirer, les 
convoiter peut-être, et juger des progrès qu'ils faisaient d'un jour à 
l'autre. 
Ils savaient aussi que l'hiver était proche quand les arbres, dépouillés de 
leur récolte et n'ayant plus rien à abriter, laissaient tristement tomber 
leurs feuilles. César et Aimée n'aimaient point à voir la terre jonchée de 
ces débris de feuillages, que, contrairement aux autres enfants, ils ne
prenaient aucun plaisir à écraser en les faisant crier sous la semelle de 
leurs souliers. Mais à l'époque dont je parle, le printemps commençait à 
peine et les deux enfants ne songeaient point, Dieu merci! aux dures 
gelées de décembre. 
Ils prirent donc par la pépinière, s'arrêtant pour prodiguer aux 
gazouillements vulgaires du pierrot et aux vocalises brillantes et 
hardies du rossignol les mêmes applaudissements. Ils n'avaient pas 
assez d'expérience pour juger et comparer, et trouvaient les chants de 
l'un et de l'autre également admirables. En fait de jouissances, comme 
vous pouvez croire, ils n'avaient point été gâtés; c'est pourquoi tout leur 
semblait bon: ils n'étaient pas difficiles. N'importe, ils étaient heureux 
et c'était le principal, n'est-ce pas? 
Après s'être suffisamment promenés, à leur idée, ils sortirent du 
Luxembourg par la grille de l'Odéon, et de là se dirigèrent tout droit 
vers la rue Saint-André-des-Arts. C'était un chemin qu'ils connaissaient 
de reste, car ils l'avaient fait plus d'une fois depuis le commencement 
de l'hiver. Ils pensaient rencontrer, dans cette rue, un brave et digne 
homme qui, par pitié, voulait bien leur porter quelque intérêt. «Comme 
nous serions heureux si, à la place de Joseph, c'était lui qui fût notre 
tuteur!» se disaient-ils souvent en admirant sa bonne et honnête figure 
encadrée de cheveux gris que recouvrait invariablement un bonnet de 
laine noir. 
[Illustration: Il faisait rôtir et vendait des marrons.] 
D'après cela, vous comprenez que ce n'était pas non plus un puissant 
personnage. Non, bien sûr. On l'appelait le père Antoine, et, tant que 
durait l'hiver, il faisait rôtir et vendait des marrons à la porte du 
marchand de vin dont la boutique fait le coin de la rue _Saint-André 
des-Arts et de la rue Gît-le-Coeur_. César et Aimée avaient fait sa 
connaissance un jour de détresse, un soir qu'ils avaient perdu leur 
chemin et erraient par là comme de pauvres âmes en peine, aveuglés 
par la neige et le grésil qui, tombant fin et dru, leur cinglaient le visage 
comme eussent fait des aiguilles. Le père Antoine, dont l'âme était 
bonne et accessible à la pitié parce que lui-même, dans sa jeunesse, 
avait connu la misère, les fit entrer dans son échoppe et se mit en devoir
de les réchauffer et les consoler, leur promettant de les remettre    
    
		
	
	
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