de rentrer, ils s'accroupirent sur leurs 
talons dans un coin de la chambre, et là, dans l'obscurité, s'occupèrent 
joyeusement à bâtir des châteaux en Espagne. Avec la pièce d'or (en 
supposant qu'elle fût à lui et à Aimée) César achetait immédiatement 
des livres, et allait à l'école où il travaillait si bien qu'au bout de 
très-peu de temps, six mois au plus grand mot, il en sortait le plus 
savant de toute la classe. Alors il apprenait un état qui le faisait vivre 
honorablement, ainsi que sa soeur. Ce n'était pas plus difficile que cela! 
Quant à Aimée, un magnifique bébé qu'elle voyait depuis longtemps à 
l'étalage d'un marchand de jouets du boulevard et qui avait des dents et 
des cheveux pour de vrai, fermait les yeux pour dormir et les ouvrait en 
s'éveillant, demandait à manger lorsqu'il avait faim et même lorsqu'il 
n'avait pas faim, appelait son papa et sa maman selon qu'il lui plaisait 
de voir l'un ou l'autre, enfin un bébé charmant qui souriait sans 
partialité à toutes les petites filles et leur envoyait des baisers à travers 
la vitrine où il était exposé, suffisait à son bonheur. César la trouvait 
bien raisonnable. Mais quelque riche qu'on soit, il faut, si l'on veut être 
réellement heureux, savoir borner ses désirs. 
Ils en étaient là lorsque des pas inégaux se firent entendre dans 
l'escalier; presque aussitôt la porte s'ouvrit avec fracas et Joseph entra 
suivi de Balthasar. César cacha prudemment sa pièce d'or dans la 
doublure de sa veste. C'était un misérable que Joseph, et un misérable
de toutes les façons; paresseux, ivrogne, méchant, voleur, il avait tous 
les vices. Les enfants le craignaient et le détestaient, parce que pour un 
oui, pour un non, il les battait comme plâtre, selon l'expression des 
voisins, qui plus d'une fois étaient venus les arracher à sa fureur. 
Balthasar, de son côté, lui témoignait beaucoup de froideur et ne lui 
obéissait qu'en rechignant. 
«Ah! vous voilà, vous autres, dit-il en découvrant mes amis dans un 
coin de la chambre. La journée a dû être bonne par un temps comme 
cela. Donnez-moi votre argent.» 
Par malheur les pauvres petits, comme vous savez, avaient perdu une 
partie de l'après-midi à regarder jouer les enfants et à chercher la dame 
à la pièce d'or, et au lieu de deux francs que Joseph leur avait fixés 
comme minimum de recette, ils ne rapportaient que trente sous. Il allait 
se mettre en colère lorsque tout à coup il vit briller quelque chose sur la 
poitrine de César. L'enfant ignorait que le dessus de son habit, aussi 
clair que du canevas, permettait de voir la malheureuse pièce de vingt 
francs qu'il avait cru si bien cacher. 
Joseph était muet de surprise. 
«Une pièce d'or! s'écria-t-il enfin. Comment César, tu as de l'or!... et tu 
ne le dis pas tout de suite!... Voyons, donne-moi ça, mon garçon? 
--Ce n'est pas à moi, dit César stupéfait. 
--Aurais-tu la prétention de la garder? 
--Je te dis qu'elle ne m'appartient pas; on me l'a donnée pour un sou; je 
le crois du moins. 
--C'est trop fort!... Es-tu donc devenu tout à fait imbécile? Si on te l'a 
donnée, elle est à toi. 
--Non, te dis-je.... 
--Allons! allons, pas tant de raisons. Si elle n'est pas à toi, elle est à moi,
j'en fais mon affaire.» 
Et Joseph se jeta brutalement sur le pauvre César qui, appuyé par 
Aimée et Balthasar, lui opposa d'abord une certaine résistance. Mais il 
n'est pas difficile à un homme de venir à bout de deux enfants de cet 
âge. Bientôt Joseph put s'emparer de la pièce de vingt francs, et il 
s'enfuit laissant César et Aimée étendus deci delà comme des choses 
inertes sur le plancher de la chambre. Certes ils étaient durs à la 
souffrance, leur tuteur les y avait habitués, mais jamais encore il ne les 
avait traités de la sorte et ils pensaient bien que cette fois, ils n'en 
reviendraient pas. 
Heureusement c'était une erreur, et vers le matin, comme le jour 
commençait à poindre, ils reprirent un peu courage et se traînèrent sur 
leurs petits lits où un sommeil profond et bienfaisant ne tarda pas à 
s'emparer d'eux. Vous pensez bien qu'après une telle scène ils ne furent 
pas bercés par des rêves positivement enchanteurs, mais enfin leurs 
traits contractés par la terreur se détendirent un peu, et Dieu leur fit la 
grâce de se reposer jusque longtemps après le lever du soleil. 
 
CHAPITRE III. 
Ce que pense le père Antoine sur la manière dont on doit gagner sa vie. 
Ce jour-ci était un dimanche, le beau dimanche de Pâques, si j'ai bonne 
mémoire; c'était fête partout, excepté dans le coeur de mes amis, 
lesquels, tristement assis sur le carreau de leur chambre, songeaient à 
leur misérable destinée, lorsque par la fenêtre--un châssis    
    
		
	
	
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