Les misères de Londres | Page 2

Pierre Alexis de Ponson du Terrail
à c?té, ce que Shoking vit parfaitement, car le brouillard était moins épais à Hampsteadt qui est sur la hauteur, et un bec de gaz se trouvait entre les deux habitations.
Une chose qui e?t encore étonné Shoking, si Shoking e?t pu s'étonner de quelque chose d'ordinaire, après qu'on venait de lui certifier qu'il était mort, c'est que l'homme gris avait congédié le cab après avoir payé le cocher.
On allait donc rester à Hampsteadt.
Quand l'homme gris eut sonné, Shoking vit une fenêtre de la maison qui se trouvait au fond du jardin et qui paraissait déserte, s'éclairer subitement.
Peu après le sable du jardin cria sous des pas d'homme et bient?t la grille s'ouvrit.
Alors Shoking délia sa langue:
--Mais où allons-nous? dit-il.
--Visiter ta maison de campagne.
--Encore!
--Mais dame! fit l'homme gris, ai-je donc l'habitude de te mentir?
Shoking, ahuri, regarda celui qui venait d'ouvrir la grille.
C'était un vieux domestique en livrée et d'une tenue irréprochable.
Il avait une lanterne à la main et s'inclina sans mot dire devant les nouveaux venus.
L'homme gris poussa Shoking devant lui, et, donnant toujours le bras à l'Irlandaise qui tenait son fils par la main, ils entrèrent tous les quatre dans le jardin.
Puis le valet ayant refermé la grille, les précéda dans l'allée sablée qui conduisait à la maison.
Shoking marchait toujours en chancelant.
--Je crois bien, murmurait-il, que je fais un rêve.
Ils pénétrèrent dans un large vestibule dallé en marbre et garni de statues et de corbeilles de fleurs.
Le valet ouvrit une porte à gauche, et Shoking, de plus en plus ébloui, se vit au seuil d'un parloir confortable et luxueux.
Un grand feu de houille br?lait dans la cheminée et il y avait au milieu de la pièce une table toute servie.
--Dans tous les cas, pensa Shoking, le rêve est assez joli.
Et il aspira ces odeurs succulentes qui se dégageaient de la table.
Alors l'homme gris lui dit:
--Tu dois avoir faim, car nous avons oublié de d?ner aujourd'hui.
--Mais puisque je suis mort... dit Shoking.
--C'est Shoking qui est mort...
--Shoking et moi ?a ne fait qu'un.
--Tu verras tout à l'heure le contraire. Mais, ajouta l'homme gris, un gentleman aussi délicat que toi ne saurait se mettre à table dans le piteux costume où tu te trouves.
--Où voulez-vous que j'en trouve un autre?
--Ton valet de chambre va te conduire à ton cabinet de toilette et tu t'habilleras.
--Mon... valet... de chambre?...
--Sans doute.
--L'homme gris s'approcha de la cheminée et secoua un gland de sonnette.
Alors Shoking abasourdi vit entrer un autre valet, également en livrée qui, s'adressant directement à lui, lui dit:
--Si Votre Honneur daigne me suivre, je conduirai Votre Honneur à son appartement.
Cette fois, Shoking jeta un grand cri et dit à l'homme gris:
--Mais pincez-moi donc le bras, réveillez-moi donc, je ne veux pas dormir plus longtemps!

II
--Mais va donc, imbécile! répéta l'homme gris en poussant Shoking par les épaules.
Cette fois Shoking comprit qu'il ne dormait pas, car la poussée vigoureuse qu'il venait de recevoir l'e?t certainement réveillé.
Il se résigna donc et suivit le second valet.
Celui-ci lui fit traverser de nouveau le vestibule et, un flambeau à la main, il gravit devant lui un escalier à marches de marbre.
Shoking était devenu docile, et, en montant, il fit cette réflexion qu'un homme qui se moquait de la police et ouvrait les portes des prisons, comme l'homme gris, était capable de tout.
Le valet, arrivé au premier étage, lui fit traverser une antichambre, puis un grand salon, puis un petit.
Tout cela était confortable et d'un luxe divin.
Après le petit salon, Shoking trouva une chambre à coucher; et, après la chambre, un vaste cabinet de toilette.
Une large tablette de marbre jaune supportait une garniture en vermeil, des brosses en ivoire, des peignes d'écaille, tout le confort, tout le luxe d'un vieux gar?on qui ne veut pas vieillir.
Il y avait sur les dressoirs des pots de col-cream, des cosmétiques, des rasoirs, et dans un coin une baignoire pleine d'une eau tiède et parfumée.
Shoking recommen?a à croire qu'il était le jouet d'un rêve, mais le rêve devenait de plus en plus agréable.
Le valet était sérieux et digne.
--Votre Honneur, dit-il, fera bien de prendre un bain.
Et il se mit à le déshabiller.
En un tour de main, Shoking fut débarrassé de ses guenilles, chaussé de pantoufles de liége, enveloppé dans un peignoir de toile fine, et il n'avait pas eu le temps de crier ouf qu'il était dans le bain.
--Pendant ce temps-là, dit alors le valet, je vais peigner et coiffer Votre Honneur.
Et il se mit à la besogne.
Shoking le laissa faire et il éprouva des voluptés infinies à sentir ses membres se dilater sous la douce chaleur du bain, tandis qu'un peigne courait dans ses cheveux blonds et déjà grisonnants.
Un quart d'heure après, Shoking sortait du bain. Ses loques avaient disparu.
Mais il y avait sur une chaise de beaux habits tout neufs, une chemise de batiste, une cravate blanche, un gilet à boutons de métal, et
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