si on le venait poursuivre jusque-là, le
chien ferait son métier de gardien, Shoking attendit.
Il attendit que la chaloupe eût exploré la Tamise dans tous les sens, en
amont et en aval du pont de Londres.
Comme le brouillard est sonore, il entendit même retentir au loin la
voix du matelot commandant qui disait:
--Après ça, camarades, ça ne nous regarde qu'à moitié. Nous n'avons
rien de commun avec les policemen, et il n'y a que la police de la
Tamise qui nous regarde. On nous confie deux hommes, ils se sauvent...
nous ne pouvons pas les rattraper... bonsoir!...
Et Shoking aperçut dans le brouillard le fanal de la chaloupe qui virait
de bord et qui remontait vers le pont de Londres, sous lequel elle
disparut de nouveau.
Alors il se dit:
--Je suis déjà bien mouillé, je ne risque pas grand' chose à me rejeter à
l'eau, d'autant mieux que j'ai de l'argent dans ma poche et que je
connais un fripier dans le Borough, de l'autre côté de la Tamise, qui me
louera des habits secs pour une demi-couronne.
Sur cette réflexion, Shoking caressa une seconde fois le chien et lui dit:
--Adieu, Sultan... tu es un chien fidèle... et je le dirai à ton maître quand
je le verrai...
Puis il piqua résolument une tête dans la Tamise.
Jamais un homme ne se jette impunément à l'eau, en présence d'un
terre-neuve.
Sultan n'était peut-être pas fâché, du reste, d'avoir un prétexte pour
quitter son poste.
A peine Shoking commençait-il à nager vigoureusement, qu'il entendit
l'eau clapoter auprès de lui et qu'il sentit sur son visage la chaude
haleine du chien.
Sultan nageait côte à côte avec Shoking.
--Oh! oh! fit celui-ci, pas de bêtises, mon ami, ne va pas t'imaginer que
je me noie au moins. Tu me ferais boire plus qu'à ma soif, en croyant
me sauver.
Mais Shoking avait mal jugé Sultan.
Sultan était un chien intelligent, qui avait tout aussitôt apprécié le
mérite de Shoking, comme nageur, et c'était simplement pour lui faire
la conduite qu'il s'était mis à l'eau.
Il se contenta donc de nager auprès de lui, comme un camarade, et il se
paya le plaisir d'aborder de l'autre côté de la Tamise, à cent mètres
au-dessous du pont de Londres, tout auprès de Shoking.
Shoking était haletant, néanmoins il crut poli de faire ses compliments
à Sultan.
--Tu es un bon chien, répéta-t-il, je le dirai à ton maître. Adieu, Sultan.
Et il le caressa.
Le chien eut un grognement amical; puis il pensa que Shoking n'avait
plus besoin de lui, et il se remit tranquillement à l'eau pour regagner le
magasin d'huile, tandis que Shoking gagnait une des ruelles étroites du
Borough.
Hélas! Shoking ne se doutait pas que Sultan, ami si intelligent jusque-là,
allait commettre à son préjudice la plus déplorable des bévues.
En effet, comme il était déjà au milieu de la Tamise, le chien heurta son
poitrail à quelque chose de mou et de flasque qui flottait sur l'eau.
Il flaira et reconnut un homme.
Cet homme n'était autre que John le rough, évanoui à la suite du coup
d'aviron.
Et le chien, obéissant à son instinct de sauveteur, prit les haillons du
rough à pleines dents, et se mit à tirer l'homme évanoui après lui,
nageant vigoureusement dans la direction du magasin.
Apres s'être montré l'ami de Shoking, Sultan commettait la déplorable
action de sauver son ennemi mortel.
Ah! si Shoking l'avait su, comme il eût retiré sur-le-champ son estime
et son amitié au terre-neuve.
Mais Shoking, en ce moment, était à la recherche du fripier qui lui
pourrait louer des habits secs et lui faire prendre un air de feu devant le
poêle.
VII
Le Borough est le quartier situé sur la rive droite de la Tamise, qu'on
trouve au bout du pont de Londres.
A l'ouest s'étend le Southwark; à l'est, toujours sur la même rive,
Rotherithe.
Très-bruyant le jour, ce quartier est noir et silencieux la nuit.
Au delà des larges voies qui rayonnent à l'entour de la gare de
London-Bridge, on trouve des ruelles étroites et sombres dans
lesquelles vit une population industrieuse et interlope.
Il y a une rue, dont les maisons sont hautes et noires, qui est pleine de
fripiers.
Le fripier ferme sa boutique fort tard; cela tient peut-être à ce que les
gens qui ont recours à lui, et que retient une certaine honte, préfèrent
s'aller affubler la nuit des habits d'occasion dont ils ont besoin.
Shoking, par exemple, n'avait pas de tels préjugés, et s'il eût eu besoin
de se vêtir en gentleman, il serait tout aussi bien entré chez son ami
Sam en plein jour et au grand soleil.
Donc, si Shoking entra dans la rue des fripiers à dix heures du soir et
alla frapper à

Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.