plus que la trace brillante
dans un ciel de pourpre, il rencontra un vieillard assis sur un arbre
abattu.» Que faites-vous ici?» demanda-t-il à ce vieillard; et le vieillard
lui répondit avec un sourire paisible: «Je suis toujours à me souvenir.
Venez-vous souvenir avec moi.»
Le voyageur alors s'assit auprès du vieillard, à la lueur d'un beau soleil
couchant, et tous ses précédents compagnons de route vinrent
doucement se placer debout devant lui: le joli enfant, le beau jeune
garçon, le jeune amoureux, le père, la mère et tous leurs enfants; tous
étaient là et il n'en avait perdu aucun. Donc il les aima tous, bon et
indulgent pour tous, toujours charmé de les revoir, et eux ils
l'honoraient et l'aimaient tous. Je crois que vous devez être ce voyageur,
grand-papa; car c'est ce que vous faites pour nous, et c'est ce que nous
faisons pour vous.
III -- L'HISTOIRE DE QUELQU'UN
ou
LA LÉGENDE DES DEUX RIVIÈRES.
On ferait une année entière des jours de Noël qui se sont succédé
depuis qu'un riche tonnelier, nommé Jacob Elsen, fut élu syndic de la
corporation des tonneliers de Stromthal, ville de l'Allemagne
méridionale. Le nom de sa famille ne se retrouve peut-être nulle part
aujourd'hui; la ville elle-même n'existe plus. À une époque postérieure,
les habitants accusèrent injustement les Juifs d'avoir égorgé de petits
enfants chrétiens. Ils les expulsèrent de la ville, et leur firent défense
d'en franchir les portes; mais les Juifs prirent tranquillement leur
revanche, car ils bâtirent une seconde ville à une certaine distance de la
première, et ils y attirèrent tout le commerce, en sorte que la ville
nouvelle vit graduellement croître ses richesses, tandis que l'ancienne
se vit peu à peu réduite à rien.
Toutefois Jacob Elsen ne connut pas cette persécution. De son temps,
les Juifs circulaient dans les rues sombres et tortueuses, trafiquaient sur
la place du marché, tenaient des boutiques et jouissaient, comme tous
les autres habitants, des privilèges de la bourgeoisie.
Une rivière coulait à travers la ville de Stromthal, rivière étroite,
sinueuse, mais navigable pour les petits bateaux. On l'appelle encore la
«Klar». Comme l'eau de la «Klar» est très pure, très agréable à boire, et
que la rivière est fort utile au commerce, les habitants du pays l'avaient
surnommée la «grande amie» de Stromthal. Ils lui attribuaient la
propriété de guérir les maux de l'esprit aussi bien que ceux du corps, et
de nos jours encore, bien que beaucoup de personnes, affligées des uns
ou des autres, s'y soient plongées ou aient bu de son onde sans s'en
trouver beaucoup mieux, leur foi reste la même. Ils lui donnent aussi
des noms féminins, comme si c'était une femme, une déesse. La «Klar»
est le sujet d'innombrables ballades et histoires qu'ils savent par coeur,
ou plutôt qu'ils savaient du temps de Jacob Elsen, car il y avait alors
très peu de livres et encore moins de lecteurs à Stromthal. On célébrait
aussi une fête annuelle, nommée «la fête de la Klar,» pendant laquelle
on jetait dans le courant des fleurs et des rubans qui flottaient à travers
les prairies jusqu'à la grande rivière où la «Klar» se jette.
-- La Klar, disait une de ces ballades populaires, n'est-elle pas une
merveille entre les rivières? Les autres courants sont alimentés, goutte à
goutte, par les rosées et les pluies; mais la «Klar» descend toute grande
des montagnes.» Et ce n'était pas une invention des poètes, car
personne ne connaissait la source de cette rivière. En vain le conseil
municipal avait offert une récompense de cinq cents brins d'or à celui
qui la découvrirait; tous ceux qui avaient essayé de remonter la «Klar»
étaient arrivés à un certain endroit situé à un grand nombre de lieues
au-dessus de Stromthal, où son onde s'échappait entre des rochers
escarpés, et où son courant était si rapide, que ni voiles ni rames ne
pouvaient lutter contre lui. Au-delà de ces rochers se trouvaient les
montagnes nommées «Himmel-gebirge», et l'on supposait que la
«Klar»prenait naissance dans ces régions inaccessibles.
Si les gens de Stromthal honoraient leur rivière, ils aimaient encore
plus leur commerce. Au lieu de planter des promenades publiques sur
les rives, ils avaient bâti la plupart de leurs maisons tout au bord de
l'eau. Quelques habitations dans les faubourgs avaient bien des jardins,
mais, au centre de la ville, le courant ne reflétait d'autres ombres que
celles des magasins et des façades en surplomb des vieilles maisons de
bois. La demeure de Jacob Elsen était de ce nombre. Elle s'ouvrait sur
un petit embarcadère garni de pieux de bouleau, et ses fondements
étaient creusés si près de l'eau, qu'en ouvrant la porte de l'atelier, on
pouvait remplir une cruche à la rivière.
L'intérieur de Jacob Elsen se composait de trois personnes sans le
compter; à savoir, sa

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