reconnaissante. Toutes les villes qui 
possédaient comme celles de Chypre un temple riche en courtisanes 
avaient à l'égard de ces femmes les mêmes soins respectueux. 
L'incomparable histoire de Phryné, telle qu'Athénée nous l'a transmise, 
donnera quelque idée d'une telle vénération. Il n'est pas vrai 
qu'Hypéride eut besoin de la mettre nue pour fléchir l'Aréopage, et 
pourtant le crime était grand: elle avait assassiné. L'orateur ne déchira 
que le haut de sa tunique et révéla seulement les seins. Et il supplia les 
Juges « de ne pas mettre à mort la prêtresse et l'inspirée d'Aphroditê » .
Au contraire des autres courtisanes qui sortaient vêtues de cyclas 
transparentes à travers lesquelles paraissaient tous les détails de leur 
corps, Phryné avait coutume de s'envelopper même les cheveux dans 
un de ces grands vêtements plissés dont les figurines de Tanagre nous 
ont conservé la grâce. Nul, s'il n'était de ses amis, n'avait vu ses bras ni 
ses épaules, et jamais elle ne se montrait dans la piscine des bains 
publics. Mais un jour il se passa une chose extraordinaire. C'était le jour 
des fêtes d'Eleusis, vingt mule personnes, venues de tous les pays de la 
Grèce, étaient assemblées sur la plage, quand Phryné s'avança près des 
vagues: elle ôta son vêtement, elle défit sa ceinture, elle ôta même sa 
tunique de dessous, « elle déroula tous ses cheveux et elle entra dans la 
mer ». Et dans cette foule il y avait Praxitèle qui d'après cette déesse 
vivante dessina l'Aphroditê de Cnide; et Apelle qui entrevit la forme de 
son Anadyomène. Peuple admirable, devant qui la Beauté pouvait 
paraître nue sans exciter le rire ni la fausse honte! 
Je voudrais que cette histoire fut celle de Bilitis, car, en traduisant ses 
Chansons, je me suis pris à aimer l'amie de Mnasidika. Sans doute sa 
vie fut tout aussi merveilleuse. Je regrette seulement qu'on n'en ait pas 
parlé davantage et que les auteurs anciens, ceux du moins qui ont 
survécu, soient si pauvres de renseignements sur sa personne. 
Philodème, qui l'a pillée deux fois, ne mentionne pas même son nom. À 
défaut de belles anecdotes, je prie qu'on veuille bien se contenter des 
détails qu'elle nous donne elle-même sur sa vie de courtisane. Elle fut 
courtisane, cela n'est pas niable; et même ses dernières chansons 
prouvent que si elle avait les vertus de sa vocation, elle en avait aussi 
les pires faiblesses. Mais je ne veux connaître que ses vertus. Elle était 
pieuse, et même pratiquante. Elle demeura fidèle au temple, tant 
qu'Aphroditê consentit à prolonger la jeunesse de sa plus pure 
adoratrice. Le jour où elle cessa d'être aimée, elle cessa d'écrire, dit-elle. 
Pourtant il est difficile d'admettre que les chansons de Pamphylie aient 
été écrites à l'époque où elles ont été vécues. Comment une petite 
bergère de montagnes eût-elle appris à scander ses vers selon les 
rythmes difficiles de la tradition éolienne? On trouvera plus 
vraisemblable que, devenue vieille, elle se plut à chanter pour 
elle-même les souvenirs de sa lointaine enfance. Nous ne savons rien 
sur cette dernière période de sa vie. Nous ne savons même pas à quel
âge elle mourut. 
Son tombeau a été retrouvé par M. G. Heim à Palaeo-Limisso, sur le 
bord d'une route antique, non loin des ruines d'Amathonte. Ces ruines 
ont presque disparu depuis trente ans, et les pierres de la maison où 
peut-être vécut Bilitis pavent aujourd'hui les quais de Port-Saïd. Mais le 
tombeau était souterrain, selon la coutume phénicienne, et il avait 
échappé même aux voleurs de trésors. 
M. Heim y pénétra par un puits étroit comblé de terre, au fond duquel il 
rencontra une porte murée qu'il fallut démolir. Le caveau spacieux et 
bas, pavé de dalles de calcaire, avait quatre murs recouverts par des 
plaques d'amphibolite noire, où étaient gravées en capitales primitives 
toutes les chansons qu'on va lire, à part les trois épitaphes qui 
décoraient le sarcophage. 
C'était là que reposait l'amie de Mnasidika, dans un grand cercueil de 
terre cuite, sous un couvercle modelé par un statuaire délicat qui avait 
figuré dans l'argile le visage de la morte : les cheveux étaient peints en 
noir, les yeux à demi fermés et prolongés au crayon comme si elle eût 
été vivante, et la joue à peine attendrie par un sourire léger qui naissait 
des lignes de la bouche. Rien ne dira jamais ce qu'étaient ces lèvres, à 
la fois nettes et rebordées, molles et fines, unies l'une à l'autre, et 
comme enivrées de se joindre. Les traits célèbres de Bilitis ont été 
souvent reproduits par les artistes de l'Ionie, et le musée du Louvre 
possède une terre cuite de Rhodes qui en est le plus parfait monument, 
après le buste de Larnaka. 
Quand on ouvrit la tombe, elle apparut dans l'état où une main pieuse 
l'avait rangée, vingt-quatre siècles auparavant. Des fioles    
    
		
	
	
	Continue reading on your phone by scaning this QR Code
 
	 	
	
	
	    Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the 
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.
	    
	    
