et premier roi
d'Égypte, entretint toujours un commerce étroit avec ce philosophe. Il
mourut enfin accablé d'années et de fatigues, et il cessa tout à la fois de
travailler et de vivre. Toute la Grèce le pleura, et tout le peuple athénien
assista à ses funérailles.
L'on raconte de lui que dans son extrême vieillesse, ne pouvant plus
marcher à pied, il se faisait porter en litière par la ville, où il était vu du
peuple, à qui il était si cher. L'on dit aussi que ses disciples, qui
entouraient son lit lorsqu'il mourut, lui ayant demandé s'il n'avait rien à
leur recommander, il leur tint ce discours: «La vie nous séduit, elle
nous promet de grands plaisirs dans la possession de la gloire; mais à
peine commence-t-on à vivre qu'il faut mourir. Il n'y a souvent rien de
plus stérile que l'amour de la réputation. Cependant, mes disciples,
contentez-vous: si vous négligez l'estime des hommes, vous vous
épargnez à vous-mêmes de grands travaux; s'ils ne rebutent point votre
courage, il peut arriver que la gloire sera votre récompense.
Souvenez-vous seulement qu'il y a dans la vie beaucoup de choses
inutiles, et qu'il y en a peu qui mènent à une fin solide. Ce n'est point à
moi à délibérer sur le parti que je dois prendre, il n'est plus temps: pour
vous, qui avez à me survivre, vous ne sauriez peser trop sûrement ce
que vous devez faire.» Et ce furent là ses dernières paroles.
Cicéron, dans le troisième livre des Tusculanes, dit que Théophraste
mourant se plaignit de la nature, de ce qu'elle avait accordé aux cerfs et
aux corneilles une vie si longue et qui leur est si inutile, lorsqu'elle
n'avait donné aux hommes qu'une vie très courte, bien qu'il leur
importe si fort de vivre longtemps; que si l'âge des hommes eût pu
s'étendre à un plus grand nombre d'années, il serait arrivé que leur vie
aurait été cultivée par une doctrine universelle, et qu'il n'y aurait eu
dans le monde ni art ni science qui n'eût atteint sa perfection. Et saint
Jérôme, dans l'endroit déjà cité, assure que Théophraste, à l'âge de cent
sept ans, frappé de la maladie dont il mourut, regretta de sortir de la vie
dans un temps où il ne faisait que commencer à être sage.
Il avait coutume de dire qu'il ne faut pas aimer ses amis pour les
éprouver, mais les éprouver pour les aimer; que les amis doivent être
communs entre les frères, comme tout est commun entre les amis; que
l'on devait plutôt se fier à un cheval sans frein qu'à celui qui parle sans
jugement; que la plus forte dépense que l'on puisse faire est celle du
temps. Il dit un jour à un homme qui se taisait à table dans un festin:
«Si tu es un habile homme, tu as tort de ne pas parler; mais s'il n'est pas
ainsi, tu en sais beaucoup.» Voilà quelques-unes de ses maximes.
Mais si nous parlons de ses ouvrages, ils sont infinis, et nous
n'apprenons pas que nul ancien ait plus écrit que Théophraste. Diogène
Laërce fait l'énumération de plus de deux cents traités différents et sur
toutes sortes de sujets qu'il a composés. La plus grande partie s'est
perdue par le malheur des temps, et l'autre se réduit à vingt traités, qui
sont recueillis dans le volume de ses oeuvres. L'on y voit neuf livres de
l'histoire des plantes, six livres de leurs causes. Il a écrit des vents, du
feu, des pierres, du miel, des signes du beau temps, des signes de la
pluie, des signes de la tempête, des odeurs, de la sueur, du vertige, de la
lassitude, du relâchement des nerfs, de la défaillance, des poissons qui
vivent hors de l'eau, des animaux qui changent de couleur, des animaux
qui naissent subitement, des animaux sujets à l'envie, des caractères des
moeurs. Voilà ce qui nous reste de ses écrits, entre lesquels ce dernier
seul, dont on donne la traduction, peut répondre non seulement de la
beauté de ceux que l'on vient de déduire, mais encore du mérite d'un
nombre infini d'autres qui ne sont point venus jusqu'à nous.
Que si quelques-uns se refroidissaient pour cet ouvrage moral par les
choses qu'ils y voient, qui sont du temps auquel il a été écrit, et qui ne
sont point selon leurs moeurs, que peuvent-ils faire de plus utile et de
plus agréable pour eux que de se défaire de cette prévention pour leurs
coutumes et leurs manières, qui, sans autre discussion, non seulement
les leur fait trouver les meilleures de toutes, mais leur fait presque
décider que tout ce qui n'y est pas conforme est méprisable, et qui les
prive, dans la lecture des livres des anciens, du plaisir et de l'instruction
qu'ils en doivent attendre?
Nous, qui

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