délicates sous la dure semelle de ses souliers ferrés. 
Déjà il entrevoit le poil roux de son lièvre, qui gît immobile au pied de 
l'arbre. Sûr désormais d'avoir bien visé, il s'arrête pour s'éponger le 
front, et, tout en s'épongeant le front, il se dit en lui-même: «J'aime bien 
l'ami Sauvageot, qui prétendait que pour devenir un vrai chasseur il faut 
un long apprentissage! Il m'avait presque inspiré des doutes, ce 
Sauvageot, et j'avais éprouvé comme un mouvement d'effroi, quand ma 
chère femme m'avait dit qu'elle comptait sur mon adresse pour le rôti. 
Nous l'avons maintenant, le rôti. Puisqu'Azor ne sait pas rapporter, je le 
ramasserai moi-même.» 
[Illustration: Il recule en poussant un cri de terreur.] 
Il avance de quelques pas; le lièvre lui semble gonflé comme un lièvre 
hydropique, mais qu'importe? c'est probablement l'effet du coup de feu. 
Tout à coup il recule en poussant un cri de terreur: le lièvre hydropique 
s'est enlevé comme un ballon et a disparu dans les branches de l'arbre. 
 
VI 
M. Colin-Tampon eut bientôt l'explication de cet étrange phénomène. 
Après s'être élevé d'un bond jusqu'aux premières branches de l'arbre, le 
lièvre retomba sur le sol avec un son mat. 
Alors seulement M. Colin-Tampon reconnut que son lièvre était une 
vieille peau de lièvre, bourrée de foin. Elle était attachée à une ficelle 
qui passait par-dessus l'une des branches. A l'autre bout, il y avait, ou 
plutôt il y avait eu un gamin facétieux qui faisait danser la peau de 
lièvre pour tenter la convoitise des chasseur inexpérimentés. 
Au moment même où la vieille peau de lièvre retombait sur le sol, M. 
Colin-Tampon entendit un rire moqueur, suivi d'un bruit de sabots qui 
s'enfuyaient. 
Il aperçut un gamin qui disparaissait derrière une clôture, il vit la ficelle 
et comprit tout. 
«Attends-moi, polisson», s'écria alors le chasseur, dont la poitrine était
gonflée d'une légitime indignation. 
«Attends-moi un peu, que je te dise deux mots à l'oreille!» répéta-t-il 
d'une voix forte; mais le gamin, qui sans doute n'était pas curieux de 
savoir ce que M. Colin-Tampon pouvait avoir à lui dire, n'attendit ni un 
peu ni beaucoup, et continua à arpenter la plaine. 
M. Colin-Tampon frissonna d'horreur à l'idée qu'il aurait pu blesser de 
quelques grains de plomb l'auteur de cette indigne comédie. Et alors, 
malgré son innocence, on l'aurait traîné, lui, conseiller municipal, 
devant les tribunaux, et on l'aurait accusé de ne pas savoir se servir d'un 
fusil. 
Payer l'amende n'eût rien été, mais de quel front aurait-il abordé 
désormais l'ami Sauvageot, après avoir donné raison à tous ses 
pronostics? 
Ayant fait un ferme propos de se défier à l'avenir des lièvres empaillés, 
M. Colin-Tampon, avant de reprendre le cours de ses exploits, donna 
une seconde accolade à la bouteille clissée. 
«Après tout, se dit-il en s'essuyant les lèvres, ce n'est pas ma faute si les 
apparences m'ont déçu, j'ai tiré avec autant de courage que s'il se fût agi 
d'un vrai lièvre!» 
Il siffla Azor, et s'enfonça dans la solitude. 
Au bout de deux cents pas, il s'arrêta court, essuya les verres de ses 
lunettes, et regarda devant lui, le coeur tremblant d'émotion. 
[Illustration: Un gros oiseau de l'espèce la plus bizarre.] 
Oui! ce qu'il voyait était bien un oiseau, et même un gros oiseau de 
l'espèce la plus bizarre. On eût juré qu'il était coiffé d'un chapeau à 
larges bords! M. Colin-Tampon se souvint fort à propos qu'il existe un 
oiseau qui se nomme le _casoar à casque_; celui-ci était peut-être le 
_merle à chapeau_ Pourquoi pas? Il s'approche avec mille précautions, 
s'assure en faisant le tour de l'arbre, à bonne distance, qu'il n'y a point 
de gamin caché derrière, épaule, vise, ferme les yeux et fait feu. 
 
VII 
L'inventeur du bouton inamovible rouvre les yeux et regarde de toutes 
ses lunettes. Ses yeux deviennent tout ronds, comme les yeux d'un 
homme surpris, et ses lunettes tremblent d'émotion sur son nez. 
Au fait, je suis peut-être bien hardi d'oser écrire que les lunettes de M. 
Colin-Tampon tremblèrent d'émotion. La poésie seule a le droit de
prêter la vie et le sentiment aux objets inanimés. Je me reprends donc et 
je dis: «Le nez de M. Colin-Tampon trembla d'émotion, et les lunettes 
qui le chevauchaient suivirent le mouvement de leur monture.» Me 
voilà en règle, et je continue. 
Le plomb a fait balle, le chapeau aux larges bords tournoie dans 
l'espace; le merle décapité reste perché sur sa branche, comme s'il avait 
encore son chapeau sur la tête et sa tête sur ses épaules. Peut-être une 
violente contraction nerveuse rive-t-elle les pattes de l'infortuné à la 
branche de l'arbre? 
Quand la contraction nerveuse cessera, le gibier ne peut manquer de 
tomber. C'est l'avis d'Azor, qui a franchi d'un bond la clôture du champ, 
et qui attend, le nez en l'air, la chute du merle    
    
		
	
	
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