Tout à coup M. Colin-Tampon replace brusquement son chapeau sur 
son crâne pelé en s'écriant: «Pas possible!» 
D'abord il se lève sur la pointe des pieds, puis il se baisse, ensuite il 
penche la tête à droite, et enfin il la penche à gauche. Son oeil étincelle 
derrière ses lunettes, et pour la seconde fois il s'écrie: «Pas possible!» 
Son coeur bat, sa main tremble, et, craignant d'être la dupe d'une 
illusion d'optique, il tire de sa poche son foulard à carreaux, essuie 
longuement ses lunettes, les remet sur son nez, regarde de nouveau et 
s'écrie: 
«C'en est un! Azor, mon bon chien, c'en est un!--Un quoi!» semble dire 
Azor, qui a levé sur son maître ses deux grands yeux intelligents. 
M. Colin-Tampon comprend cette muette interrogation et répond: «Un 
lièvre.» 
Au seul mot de lièvre, Azor agite sa queue et bondit sur place. M. 
Colin-Tampon est surpris et un peu indigné que l'instinct d'Azor ne lui 
dise pas où gît le lièvre. 
M. Colin-Tampon a bien le droit de s'indigner. Azor lui a coûté très 
cher, et le marchand de chiens de la rue d'Amsterdam le lui a garanti 
pour un chien do chasse, foi d'honnête homme. Il a nommé le père et la 
mère d'Azor, et même son grand-père et sa grand'mère. Aussi M. 
Colin-Tampon a donné 800 francs pour entrer en possession d'Azor. 
Le lièvre gît là-bas, au bout de cette luzerne, au pied de cet arbre isolé, 
ou plutôt il n'y gît pas, mais il danse. Et même c'est la plus singulière 
danse que jamais ait dansée un lièvre de mars au plus fort de sa folie. Il 
bondit sur place, il se relève, bondit encore, semblable à ces 
marionnettes qui se trémoussent au bout d'un fil. 
Un chasseur exercé se fût défié de ces allures; mais l'inventeur du 
bouton inamovible n'était pas un chasseur exercé. C'était un de ces 
Parisiens de la rue Saint-Denis qui n'ont jamais vu de lièvres que ceux 
qui sont pendus, la tête en bas, à l'étalage des marchands de gibier, ou 
bien encore les lièvres savants qui tirent le pistolet et battent du 
tambour à la foire aux pains d'épice.
M. Colin-Tampon porte lentement la crosse de son fusil à son épaule et 
vise sans se presser. Au moment de tirer, il regarde Azor. Azor se dit: 
«Sur quoi, diable! va-t-il tirer?» Et le maître d'Azor, interprétant à sa 
façon le langage muet de son chien, se dit: «Azor semble croire que 
nous ne sommes pas à bonne portée.» 
A pas de loup, il quitte le bosquet, surveillant du coin de l'oeil son 
lièvre, qui danse toujours comme un possédé. En chasseur prudent, 
l'inventeur du bouton inamovible se faufile d'abri en abri. A mesure 
qu'il approche, le lièvre saute plus haut, comme pour le narguer. Tout à 
coup le chasseur s'arrête, épaule, vise et fait feu. 
 
V 
Comme tous les tireurs novices, M. Colin-Tampon a fermé les yeux en 
pressant la détente; mais il les rouvre aussitôt et regarde de toutes ses 
lunettes. 
Le lièvre ne bondit plus; il est mort ou mortellement blessé. Le coeur 
de M. Colin-Tampon est inondé d'une joie immense. «Touché, 
s'écrie-t-il, et dire que c'est mon premier coup de fusil!» 
Pour célébrer son triomphe, il donne une longue accolade à la bouteille 
clissée que sa prudente ménagère a remplie d'un punch généreux. 
Ensuite il brandit son arme et exécute sur place une danse de son 
invention. 
Azor cherche à deviner pourquoi son maître danse la pyrrhique en plein 
champ; il ne le devine pas, mais, comme un fidèle serviteur qu'il est, il 
se conforme à la pensée secrète de celui qui le loge et le nourrit. Il 
danse la pyrrhique à sa manière, en aboyant du haut de sa tête et en 
décrivant de grands cercles autour du vainqueur. 
«Là-bas! mon bon chien, lui dit son maître en désignant du doigt l'arbre 
au pied duquel le lièvre a été foudroyé; là-bas! apporte, apporte.» 
Plus léger qu'un chevreuil, Azor bondit et arrive en trois sauts au pied 
de l'arbre, il flaire le lièvre à plusieurs reprises, mais au lieu de le 
rapporter à son bon maître, il revient, la tête basse, la queue entre les 
jambes. 
«Qu'est-ce à dire? s'écrie M. Colin-Tampon d'un ton irrité, le marchand 
de chiens se serait-il moqué de moi?» 
Azor proteste par une série de petits cris inarticulés. 
«Ce n'est pas toi que j'accuse,» lui dit M. Colin-Tampon. Azor continue
à crier. 
«Mais, reprend M. Colin-Tampon, puisque je te dis que ce n'est pas à 
toi que je m'en prends. Tu ne m'as pas trompé, toi, mon pauvre ami; tu 
ne t'es pas vanté de savoir ce que tu ne savais pas. Oh! ces marchands 
de chiens!» 
Tout en parlant ainsi, il arpente la luzerne, dont il froisse sans pitié les 
tiges    
    
		
	
	
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