Les Quatre Livres des Stratagèmes | Page 9

Sextus Julius Frontin
il
comprit que ces peuples fomentaient des projets hostiles.
Il y a encore, pour pénétrer les desseins de l'ennemi, des moyens que
les généraux emploient par eux-mêmes, sans aucun secours étranger.
En voici des exemples:
7 Pendant la guerre d'Étrurie, le consul Emilius Paullus allait faire
descendre son armée dans une plaine, près de Poplonie, lorsqu'il vit de
loin une multitude d'oiseaux s'élever d'une forêt, en précipitant leur vol.
Il pensa qu'il y avait là quelque embuscade, parce que les oiseaux
s'étaient envolés effarouchés et en grand nombre. Des espions qu'il
envoya lui apprirent, en effet, que dix mille Boïens s'y disposaient à

surprendre l'armée romaine. Alors, tandis qu'il était attendu d'un côté, il
fît passer ses légions de l'autre, et enveloppa l'ennemi.
8 De même Tisamène, fils d'Oreste, averti que le sommet d'une
montagne fortifiée par la nature était occupé par l'ennemi, envoya
reconnaître les lieux. Ses éclaireurs lui ayant affirmé qu'il se trompait,
il se mettait déjà en marche, quand il vit que de cette hauteur, dont il se
méfiait, une grande quantité d'oiseaux s'étaient envolés à la fois, et ne
s'y reposaient pas. Il en conclut qu'une troupe ennemie y était cachée, il
tourna donc la montagne avec son armée, et évita ainsi l'embuscade.
9 Hasdrubal, frère d'Hannibal, s'aperçut de la réunion des armées de
Livius et de Néron, malgré la précaution qu'ils avaient prise de ne point
étendre leur camp. Il avait remarqué de leur côté des chevaux plus
efflanqués, et des hommes dont le teint était plus hâlé que de coutume,
comme il arrive après une marche.

III Adopter une manière de faire la guerre.[25]
1 Alexandre, roi de Macédoine, ayant une armée pleine d'ardeur,
préféra toujours, comme manière de faire la guerre, la bataille rangée.
2 Pendant la guerre civile, C. César, ayant une armée de vétérans, et
sachant que celle de l'ennemi était composée de recrues, s'attacha
continuellement à livrer des batailles.
3 Fabius Maximus, envoyé contre Hannibal, que ses victoires avaient
enorgueilli, résolut d'éviter les chances des combats, et de mettre
seulement à couvert l'Italie, ce qui lui valut le surnom de Temporisateur
et, par cela même, la réputation de grand capitaine.
4 Les Byzantins, pour éviter les hasards des combats contre Philippe,
renoncèrent à la défense de leurs frontières, se retirèrent dans l'enceinte
fortifiée de leur ville, et réussirent ainsi à éloigner ce roi, qui ne put
supporter les lenteurs du siège.
5 Dans la seconde guerre Punique, Hasdrubal, fils de Giscon, étant

vaincu en Espagne, et poursuivi par P. Scipion, partagea son armée
entre différentes villes. Il en résulta que Scipion, pour ne point occuper
ses troupes à faire plusieurs sièges à la fois, les ramena dans leurs
quartiers d'hiver.
6 À l'approche de Xerxès, Thémistocle, pensant que les Athéniens ne
pourraient ni livrer bataille, ni défendre leurs frontières, pas même leurs
remparts, leur conseilla d'envoyer leurs enfants et leurs femmes à
Trézène et dans d'autres villes, d'abandonner Athènes, et de se disposer
à combattre sur mer.
7 Périclès en fit autant, dans la même république, contre les
Lacédémoniens[26].
8 Tandis qu'Hannibal s'obstinait à rester en Italie, Scipion, en faisant
passer son armée en Afrique, mit les Carthaginois dans la nécessité de
rappeler leur général. Par ce moyen Scipion transporta la guerre du
territoire romain sur celui de l'ennemi.
9 Les Athéniens, souvent inquiétés par les Lacédémoniens, qui leur
avaient enlevé le château de Décélie, et s'y étaient fortifiés, envoyèrent
une flotte pour ravager le Péloponnèse, et réussirent à faire rappeler
l'armée lacédémonienne qui était à Décélie.
10 L'empereur César Domitien Auguste, voyant que du sein des bois et
de retraites cachées, les Germains, par une tactique qu'ils avaient
adoptée, venaient fréquemment assaillir nos troupes, et trouvaient
ensuite un refuge assuré dans la profondeur de leurs forêts[27], recula
de cent vingt milles les limites de l'empire; par là, non seulement il
changea la situation de la guerre, mais il réduisit sous sa puissance ces
ennemis, dont les retraites furent mises à découvert.

IV. Faire passer son armée à travers des lieux occupés par l'ennemi.
1 Pendant que le consul Emilius Paullus conduisait son armée en
Lucanie, par un chemin resserré le long du rivage, la flotte des
Tarentins, qui s'était mise en embuscade, lui lançait des flèches

empoisonnées: il couvrit le flanc de sa troupe avec des prisonniers, et
l'ennemi, craignant de les atteindre, cessa de tirer.
2 Agésilas, roi de Lacédémone, revenant de Phrygie chargé de butin, et
poursuivi par les ennemis, qui le harcelaient partout où le terrain leur
donnait l'avantage, étendit de chaque côté de ses troupes une file de
prisonniers; et les ennemis, en épargnant ceux-ci, donnèrent aux
Lacédémoniens le temps de s'éloigner.
3 Le même roi, ayant à franchir un défilé qu'il trouva occupé par les
Thébains, changea de route, et feignit de se diriger sur
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