Les Precieuses Ridicules | Page 7

Molière (Jean-Baptiste Poquelin)
: "oh ! oh !" Comme un homme qui s'avise tout d'un coup, "oh ! oh !" La surprise, "oh ! oh !"
- Madelon -
Oui, je trouve ce "oh ! oh !" admirable.
- Mascarille -
Il semble que cela ne soit rien.
- Cathos -
Ah ! mon Dieu, que dites-vous ? Ce sont là de ces sortes de choses qui ne se peuvent payer.
- Madelon -
Sans doute ; et j'aimerais mieux avoir fait ce "oh ! oh !" qu'un poème épique.
- Mascarille -
Tudieu ! vous avez le go?t bon.
- Madelon -
Hé ! je ne l'ai pas tout à fait mauvais.
- Mascarille -
Mais n'admirez-vous pas aussi "je n'y prenais pas garde " ? "Je n'y prenais pas garde", je ne m'apercevais pas de cela : fa?on de parler naturelle : "je n'y prenais pas garde". "Tandis que, sans songer à mal", tandis qu'innocemment, sans malice, comme un pauvre mouton ; "je vous regarde", c'est-à-dire, je m'amuse à vous considérer, je vous observe, je vous contemple ; "votre oeil en tapinois..." Que vous semble de ce mot "tapinois" ? n'est-il pas bien choisi ?
- Cathos -
Tout à fait bien.
- Mascarille -
"Tapinois", en cachette ; il semble que ce soit un chat qui vienne de prendre une souris : "tapinois".
- Madelon -
Il ne se peut rien de mieux.
- Mascarille -
"Me dérobe mon coeur", me l'emporte, me le ravit. "Au voleur ! au voleur ! au voleur ! au voleur !" Ne diriez-vous pas que c'est un homme qui crie et court après un voleur pour le faire arrêter ? "Au voleur ! au voleur ! au voleur ! au voleur !"
- Madelon -
Il faut avouer que cela a un tour spirituel et galant.
- Mascarille -
Je veux vous dire l'air que j'ai fait dessus.
- Cathos -
Vous avez appris la musique ?
- Mascarille -
Moi ? Point du tout.
- Cathos -
Et comment donc cela se peut-il ?
- Mascarille -
Les gens de qualité savent tout sans avoir jamais rien appris.
- Madelon -
Assurément, ma chère.
- Mascarille -
Ecoutez si vous trouverez l'air à votre go?t. "Hem, hem, la, la, la, la, la". La brutalité de la saison a furieusement outragé la délicatesse de ma voix ; mais il n'importe, c'est à la cavalière.
(Il chante.)
Oh ! oh ! je n'y prenais pas garde, etc.
- Cathos -
Ah ! que voilà un air qui est passionné ! Est-ce qu'on n'en meurt point ?
- Madelon -
Il y a de la chromatique là dedans.
- Mascarille -
Ne trouvez-vous pas la pensée bien exprimée dans le chant ? "Au voleur ! au voleur !" Et puis, comme si l'on criait bien fort : "au, au, au, au, au, voleur !" Et tout d'un coup, comme une personne essoufflée : "au voleur !"
- Madelon -
C'est là savoir le fin des choses, le grand fin, le fin du fin. Tout est merveilleux, je vous assure ; je suis enthousiasmée de l'air et des paroles.
- Cathos -
Je n'ai encore rien vu de cette force-là.
- Mascarille -
Tout ce que je fais me vient naturellement, c'est sans étude.
- Madelon -
La nature vous a traité en vraie mère passionnée, et vous en êtes l'enfant gaté.
- Mascarille -
A quoi donc passez-vous le temps, Mesdames ?
- Cathos -
A rien du tout.
- Madelon -
Nous avons été jusqu'ici dans un je?ne effroyable de divertissements.
- Mascarille -
Je m'offre à vous mener l'un de ces jours à la comédie, si vous voulez ; aussi bien, on en doit jouer une nouvelle que je serai bien aise que nous voyions ensemble.
- Madelon -
Cela n'est pas de refus.
- Mascarille -
Mais je vous demande d'applaudir comme il faut, quand nous serons là ; car je me suis engagé de faire valoir la pièce, et l'auteur m'en est venu prier encore ce matin. C'est la coutume ici qu'à nous autres gens de condition les auteurs viennent lire leurs pièces nouvelles, pour nous engager à les trouver belles, et leur donner de la réputation ; et je vous laisse à penser si, quand nous disons quelque chose, le parterre ose nous contredire ! Pour moi, j'y suis fort exact ; et quand j'ai promis à quelque poète, je crie toujours : Voilà qui est beau ! devant que les chandelles soient allumées.
- Madelon -
Ne m'en parlez point : c'est un admirable lieu que Paris ; il s'y passe cent choses tous les jours, qu'on ignore dans les provinces, quelque spirituelle qu'on puisse être.
- Cathos -
C'est assez : puisque nous sommes instruites, nous ferons notre devoir de nous écrier comme il faut sur tout ce qu'on dira.
- Mascarille -
Je ne sais si je me trompe, mais vous avez toute la mine d'avoir fait quelque comédie.
- Madelon -
Hé ! il pourrait être quelque chose de ce que vous dites.
- Mascarille -
Ah ! ma foi ! il faudra que nous la voyions. Entre nous, j'en ai composé une que je veux faire représenter.
- Cathos -
Et à quels comédiens
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