Les Precieuses Ridicules | Page 5

Molière (Jean-Baptiste Poquelin)
dessein de me briser, à force de heurter contre les murailles et les pavés.
- Premier porteur -
Dame ! c'est que la porte est étroite. Vous avez voulu aussi que nous soyons entrés jusqu'ici.
- Mascarille -
Je le crois bien. Voudriez-vous, faquins, que j'exposasse l'embonpoint de mes plumes aux inclémences de la saison pluvieuse, et que j'allasse imprimer mes souliers en boue ? Allez, ?tez votre chaise d'ici.
- Deuxième porteur -
Payez-nous donc, s'il vous pla?t, Monsieur.
- Mascarille -
Hein !
- Deuxième porteur -
Je dis, Monsieur, que vous nous donniez de l'argent, s'il vous pla?t.
- Mascarille -
(lui donnant un soufflet.)
Comment, coquin ! demander de l'argent à une personne de ma qualité !
- Deuxième porteur -
Est-ce ainsi qu'on paye les pauvres gens ? et votre qualité nous donne-t-elle à d?ner ?
- Mascarille -
Ah ! ah ! je vous apprendrai à vous conna?tre ! Ces canailles-là s'osent jouer à moi.
- Premier porteur -
(Prenant un des batons de sa chaise.)
Cà, payez-nous vitement.
- Mascarille -
Quoi ?
- Premier porteur -
Je dis que je veux avoir de l'argent tout à l'heure.
- Mascarille -
Il est raisonnable, celui-là.
- Premier porteur -
Vite donc !
- Mascarille -
Oui-da ! Tu parles comme il faut, toi ; mais l'autre est un coquin qui ne sait ce qu'il dit. Tiens, es-tu content ?
- Premier porteur -
Non, je ne suis pas content : vous avez donné un soufflet à mon camarade, et...
(Levant son baton.)
- Mascarille -
Doucement ! Tiens, voilà pour le soufflet. On obtient tout de moi quand on s'y prend de la bonne fa?on. Allez, venez me reprendre tant?t pour aller au Louvre, au petit coucher.
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SCèNE IX. - Marotte, Mascarille.
- Marotte -
Monsieur, voilà mes ma?tresses qui vont venir tout à l'heure.
- Mascarille -
Qu'elles ne se pressent point : je suis ici posté commodément pour attendre.
- Marotte -
Les voici.
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SCèNE X. - Madelon, Cathos, Mascarille, Almanzor.
- Mascarille -
(après avoir salué.)
Mesdames, vous serez surprises sans doute de l'audace de ma visite ; mais votre réputation vous attire cette méchante affaire, et le mérite a pour moi des charmes si puissants, que je cours partout après lui.
- Madelon -
Si vous poursuivez le mérite, ce n'est pas sur nos terres que vous devez chasser.
- Cathos -
Pour voir chez nous le mérite, il a fallu que vous l'y ayez amené.
- Mascarille -
Ah ! je m'inscris en faux contre vos paroles. La renommée accuse juste en contant ce que vous valez ; et vous allez faire pic, repic et capot tout ce qu'il y a de galant dans Paris.
- Madelon -
Votre complaisance pousse un peu trop avant la libéralité de ses louanges ; et nous n'avons garde, ma cousine et moi, de donner de notre sérieux dans le doux de votre flatterie.
- Cathos -
Ma chère, il faudrait faire donner des sièges.
- Madelon -
Holà ! Almanzor.
- Almanzor -
Madame ?
- Madelon -
Vite, voiturez-nous ici les commodités de la conversation.
- Mascarille -
Mais, au moins, y a-t-il s?reté ici pour moi ?
(Almanzor sort.)
- Cathos -
Que craignez-vous ?
- Mascarille -
Quelque vol de mon coeur, quelque assassinat de ma franchise. Je vois ici des yeux qui ont la mine d'être de fort mauvais gar?ons, de faire insulte aux libertés, et de traiter une ame de Turc à More (9). Comment, diable ! d'abord qu'on les approche, ils se mettent sur leur garde meurtrière. Ah ! par ma foi, je m'en défie ! et je m'en vais gagner au pied, ou je veux caution bourgeoise (10) qu'ils ne me feront point de mal.
- Madelon -
Ma chère, c'est le caractère enjoué.
- Cathos -
Je vois bien que c'est un Amilcar (11).
- Madelon -
Ne craignez rien : nos yeux n'ont point de mauvais desseins, et votre coeur peut dormir en assurance sur leur prud'homie.
- Cathos -
Mais de grace, Monsieur, ne soyez pas inexorable à ce fauteuil qui vous tend les bras il y a un quart d'heure ; contentez un peu l'envie qu'il a de vous embrasser.
- Mascarille -
(après s'être peigné et avoir ajusté ses canons.)
Eh bien, Mesdames, que dites-vous de Paris ?
- Madelon -
Hélas ! qu'en pourrions-nous dire ? Il faudrait être l'antipode de la raison, pour ne pas confesser que Paris est le grand bureau des merveilles, le centre du bon go?t, du bel esprit, et de la galanterie.
- Mascarille -
Pour moi, je tiens que hors de Paris il n'y a point de salut pour les honnêtes gens.
- Cathos -
C'est une vérité incontestable.
- Mascarille -
Il y fait un peu crotté ; mais nous avons la chaise.
- Madelon -
Il est vrai que la chaise est un retranchement merveilleux contre les insultes de la boue et du mauvais temps.
- Mascarille -
Vous recevez beaucoup de visites ? Quel bel esprit est des v?tres ?
- Madelon -
Hélas ! nous ne sommes pas encore connues ; mais nous sommes en passe de l'être ; et nous avons une amie particulière qui nous a promis d'amener ici tous ces messieurs du Recueil des pièces choisies.
- Cathos -
Et certains
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