coeurs 
parfaitement ingénus, comme il appert de la Correspondance intime. 
Bref, ils s'épousèrent. 
C'était l'union de deux «guitares», et aussi l'union de deux déveines, de 
deux guignes noires. Valmore n'avait jamais eu de chance... «Le 2 mai 
1813, on donnait Amphitryon au Théâtre-Français. Valmore y jouait le 
rôle de Jupiter; à la dernière scène, lorsqu'il apparaît dans un nuage, 
armé de sa foudre, appuyé sur son aigle, la corde qui le retenait en l'air 
se brisa, et précipita de quarante-cinq pieds de haut le dieu amoureux. 
La chute était épouvantable; le pauvre Valmore fut emporté de la scène 
brisé, moulu, et plusieurs mois se passèrent avant qu'il pût remonter sur 
les planches.» 
Chute symbolique. Toute sa vie Valmore dégringola de son nuage. 
Mais il se cramponnait. Comme l'illustre Delobelle, il «ne renonçait 
pas.» Valmore, m'a dit M. Sardou sur le témoignage de gens qui
l'avaient vu jouer, était un fort médiocre comédien. Je lis dans une lettre 
de Marceline: «Valmore a rêvé de solliciter l'Odéon... Ce serait comme 
administrateur qu'il voudrait ce théâtre, et je t'avoue que j'aimerais 
mieux présentement pour lui cette carrière que celle d'acteur, car son 
genre est perdu en province.» Cela signifie qu'il paraissait «vieux 
jeu»,--en province! et en 1836! L'infortuné passait son temps à déclarer, 
tantôt qu'il n'accepterait de place qu'au Théâtre-Français, et dans les 
premiers emplois,--tantôt qu'il ne s'abaisserait pas à y rentrer, dût-on 
l'en prier à genoux. Et cependant il cabotinait où il pouvait pour gagner 
son pain, à Lyon, à Bordeaux, à Bruxelles... 
Et chaque année, pendant trente ans, au temps des vacances, sa femme 
vient à Paris pour lui chercher un engagement qu'elle n'obtient jamais. 
Mais rien n'entame sa foi dans son cher artiste. Fidèlement, naïvement, 
elle entre dans ses illusions, dans ses rancunes, dans ses colères, dans 
ses gestes drapés, dans ses faux dédains. De dix pages en dix pages on 
croit entendre les phrases de la douce Mme Delobelle ou de Désirée: 
Monsieur Delobelle ne renonce pas; Monsieur Delobelle n'a pas le droit 
de renoncer; ou: Monsieur Delobelle dit qu'il renonce, qu'on lui en a 
trop fait.» Le ton, l'accent est le même, à s'y tromper: «Mon mari, dit 
Marceline, est un homme tout entier, immobile dans ses aversions. Il 
abhorre Paris; rien ne pourra le changer.» Ou bien: «Valmore m'a 
avoué qu'il préférait toutes les chances désastreuses que nous 
éprouvons de faillite en faillite et de voyage en voyage, à rentrer jamais 
à la Comédie française qu'il abhorre.» Ou bien: «Valmore est tout à fait 
réveillé de ses beaux rêves d'artiste... Il veut nous emmener dans 
quelque cour étrangère ou essayer une direction théâtrale à Paris...» Ou 
encore: «Mon mari qui t'aime de toujours incline jusqu'à tes genoux 
toutes ses fiertés d'homme...» (Cela, c'est tout à fait l'accent 
«Delobelle», ou, mieux, le style «Delmar»: vous vous rappelez 
l'étonnant cabot-pontife de l'Éducation sentimentale?) «Valmore, qui 
t'aime bien à travers ses grincements de dents contre la destinée...» Etc., 
etc... C'est d'un comique navrant. 
Ce sont des ingénus, non des simples. Ils demeurent gens de théâtre par 
une innocente exagération de langage et par de petites déformations 
avantageuses de la réalité. «À vingt ans, dit Marceline, des peines
profondes m'obligèrent de renoncer au chant, parce que ma voix me 
faisait pleurer.» L'explication est charmante; mais la vérité, c'est qu'elle 
perdit la voix à la suite de ses couches, et qu'elle avait alors vingt-trois 
ans, et non pas vingt. 
Elle l'aime bien, son Valmore. Mais les rôles sont intervertis dans cette 
union, puisque c'est lui qui est le plus jeune (de sept ans), le plus faible 
et le plus beau. Elle parle de lui comme pourrait faire de sa femme un 
mari d'actrice, j'entends un mari amoureux. «Il est certain, mon bon 
ange, que je ne te connais pas de rival au théâtre. Ta chère voix a des 
physionomies aussi mobiles que ton visage, et, quand elle est dans ses 
bons jours, je sais qu'il y en a peu d'aussi pénétrantes, car ta 
prononciation est aussi distinguée que celle de Mlle Mars.» Marceline 
avait cinquante-six ans quand elle envoyait ces lignes à son mari.--Elle 
lui écrit, le 3 juillet 1846: «Tu n'es plus là le matin pour me laisser 
dormir... Dès sept heures, je tends les bras à la Providence et à toi.» Et, 
le 7 décembre de la même année: «Je t'aime! à tes pieds ou dans tes 
bras, je t'aime!...» Elle avait alors soixante ans; et il est vrai qu'elle 
venait de perdre une de ses filles.--Elle lui écrit, le 27 décembre 1852: 
«Bon jour et amour, cher mari à moi!» Elle avait alors soixante-six ans, 
et il en avait donc cinquante-neuf. 
Lui, le digne comédien, en imaginait de bonnes pour se rendre 
intéressant. Il avait eu, ça et là, de courtes et banales liaisons avec des 
petites camarades. Il s'avisa, un    
    
		
	
	
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