Les Aventures de John Davys | Page 2

Alexandre Dumas, père
laquelle, grace aux soins de M. Sanders, était dans l’état le plus florissant. Relevé fait de l’actif, il se trouva que sir édouard, à son grand étonnement, jouissait de deux mille livres sterling de rente, qui, jointes à son traitement de retraite, pouvaient lui constituer soixante-cinq à soixante et dix mille francs de revenu annuel. Sir édouard avait, par hasard, rencontré un intendant honnête homme.
Quelque philosophie que le contre-amiral eut re?ue de la nature et surtout de l’éducation, cette découverte ne lui était pas indifférente. Certes, il e?t donné cette fortune pour ravoir sa jambe et surtout son activité?; mais, puisque force lui était de se retirer du service, mieux valait, à tout prendre, s’en retirer dans les conditions où il se trouvait, que réduit à sa simple retraite?: il prit donc son parti en homme de résolution, et déclara à M. Sanders qu’il était décidé à aller habiter le chateau de ses pères. Il l’invita, en conséquence, à prendre les devants, afin que toutes choses fussent prêtes pour son arrivée à Williams House, arrivée qui aurait lieu huit jours après celle du digne intendant.
Ces huit jours furent employés, par sir édouard et par Tom, à réunir tous les livres de marine qu’ils purent trouver, depuis les Aventures de Gulliver jusqu’aux Voyages du capitaine Cook. à cet assortiment de récréations nautiques, sir édouard joignit un globe gigantesque, un compas, un quart de cercle, une boussole, une longue-vue de jour et une longue vue de nuit?; puis, toutes ces choses emballées dans une excellente voiture de poste, les deux marins se mirent en route pour le voyage le plus long qu’ils eussent jamais fait à travers terres.
Si quelque chose avait pu consoler le capitaine de l’absence de la mer, c’était certes la vue du gracieux pays qu’il traversait?: l’Angleterre est un vaste jardin tout parsemé de massifs d’arbres, tout émaillé de vertes prairies, tout baigné de tortueuses rivières?; d’un bout à l’autre du royaume se croisent en tous sens de grandes routes sablées, ainsi que les allées d’un parc, et bordées de peupliers onduleux, qui se courbent comme pour souhaiter aux voyageurs la bienvenue sur les terres qu’ils ombragent. Mais, si ravissant que f?t ce spectacle, il ne pouvait combattre, dans l’esprit du capitaine, cet horizon toujours le même, et cependant toujours nouveau, de vagues et de nuages qui se confondent, d’un ciel et d’une mer qui se touchent. L’émeraude de l’Océan lui paraissait bien autrement splendide que le tapis vert des prairies?; et, si gracieux que fussent les peupliers, ils étaient loin d’avoir, en se courbant, la mollesse d’un mat chargé de toutes ses voiles?; quant aux routes, si bien sablées qu’elles fussent, il n’y en avait pas qu’on p?t comparer au pont et à la dunette de la Junon. Ce fut avec un désavantage marqué que le vieux sol des Bretons déroula aux yeux du capitaine tous ses enchantements?; et c’est sans avoir fait une seule fois l’éloge des pays à travers lesquels il avait passé, pays qui sont cependant les plus beaux comtés de l’Angleterre, qu’il arriva au haut de la montagne du sommet de laquelle on découvrait, dans toute son étendue, l’héritage paternel dont il venait prendre possession.
Le chateau était bati dans une situation charmante?; une petite rivière, prenant sa source au pied des montagnes qui s’élèvent entre Manchester et Sheffield, coulait tortueusement au milieu de grasses prairies, et, formant un lac d’une lieue de tour, reprenait sa course pour aller se jeter dans la Trent, après avoir baigné les maisons de Derby. Tout ce paysage était d’un vert vivace et réjouissant?; on eut dit une nature éclose de la veille et toute virginale encore, échappée à peine des mains de Dieu. Un air de tranquillité profonde et de bonheur parfait planait sur tout l’horizon, borné par cette cha?ne de collines aux courbes gracieuses qui prend naissance dans le pays de Galles, traverse toute l’Angleterre, et va s’attacher aux flancs des monts Cheviots. Quant au chateau lui-même, il datait de l’expédition du Prétendant?; il avait été élégamment meublé à cette époque, et les appartements, quoique déserts depuis vingt-cinq à trente ans, avaient été entretenus avec un tel soin par M. Sanders, que les dorures des meubles et les couleurs des tapisseries semblaient être sorties la veille des mains de l’ouvrier.
C’était, comme on le voit, une retraite très confortable pour un homme qui, lassé des choses de ce monde, l’e?t choisie volontairement?; mais il n’en était pas ainsi de sir édouard?: aussi toute cette nature calme et gracieuse lui parut-elle quelque peu monotone, comparée à l’éternelle agitation de l’Océan, avec ses horizons immenses, ses ?les grandes comme des continents et ses continents qui sont des mondes. Il parcourut en soupirant toutes ces vastes chambres, sur le parquet desquelles résonnait tristement sa jambe de bois s’arrêtant aux fenêtres de
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