Les Aventures de John Davys

Alexandre Dumas, père
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LES AVENTURES DE JOHN DAVYS
Alexandre Dumas
(1839)
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CHAPITRE I
Il y a à peu près quarante ans, à l’heure où j’écris ces lignes, que mon père, le capitaine édouard Davys, commandant la frégate anglaise la Junon, eut la jambe emportée par un des derniers boulets partis du vaisseau le Vengeur, au moment où il s’ab?mait dans la mer plut?t que de se rendre.
Mon père, en rentrant à Portsmouth, où le bruit de la victoire remportée par l’amiral Howe l’avait précédé, y trouva son brevet de contre-amiral?; malheureusement, ce titre lui était accordé à titre d’honorable retraite, les lords de l’amirauté ayant, sans doute, pensé que la perte d’une jambe rendrait moins actifs les services que le contre-amiral édouard Davys, à peine arrivé à l’age de quarante-cinq ans, pouvait rendre encore à la Grande-Bretagne, s’il n’avait point été victime de ce glorieux accident.
Mon père était un de ces dignes marins qui ne comprennent pas trop de quelle nécessité est la terre si ce n’est pour se ravitailler d’eau fra?che et y faire sécher du poisson. Né à bord d’une frégate, les premiers objets qui avaient frappé ses yeux étaient le ciel et la mer. Midshipman à quinze ans, lieutenant à vingt-cinq ans, capitaine à trente, il avait passé la plus belle et la meilleure partie de sa vie sur un vaisseau, et, tout au contraire des autres hommes, ce n’était que par hasard, et presque à son corps défendant, qu’il avait parfois mis le pied sur la terre ferme?; si bien que le digne amiral, qui aurait retrouvé son chemin, les yeux fermés, dans le détroit de Behring ou dans la baie de Baffin, n’aurait pu, sans prendre un guide, se rendre de Saint-James à Piccadilly. Ce ne fut donc point sa blessure en elle-même qui l’affligea, ce furent les suites qu’elle entra?nait après elle?: c’est que, parmi toutes les chances qui attendent un marin, mon père avait souvent songé au naufrage, à l’incendie, au combat, mais jamais à la retraite, et la seule mort à laquelle il ne f?t pas préparé était celle qui visite le vieillard dans son lit.
Aussi la convalescence du blessé fut-elle longue et tourmentée?; sa bonne constitution finit cependant par l’emporter sur la douleur physique et les préoccupations morales. Il faut dire, au reste, qu’aucun soin ne lui manqua pendant son douloureux retour à la vie?: sir édouard avait près de lui un de ces êtres dévoués qui semblent appartenir à une autre race que la n?tre, et dont on ne trouve les types que sous l’uniforme du soldat ou la veste du marin. Ce digne matelot, agé de quelques années de plus que mon père, avait constamment suivi sa fortune, depuis le jour où il était entré comme midshipman à bord de la Reine Charlotte jusqu’à celui où il l’avait relevé, avec une jambe de moins, sur le pont de la Junon?; et, quoique rien ne for?at Tom Smith à quitter son batiment, quoique lui aussi eut rêvé la mort d’un soldat et la tombe d’un marin, son dévouement pour son capitaine l’emporta sur son amour pour sa frégate?: aussi, en voyant arriver la retraite de son commandant, il sollicita immédiatement la sienne, qui, en faveur du motif qu’il faisait valoir, lui fut accordée, accompagnée d’une petite pension.
Les deux vieux amis – car, dans la vie privée, la distinction des grades disparaissait – se trouvèrent donc tout à coup appelés à un genre de vie auquel ils étaient loin d’être préparés, et dont la monotonie les effrayait d’avance?; cependant il fallait en prendre son parti. Sir édouard se rappela qu’il devait avoir, à quelques centaines de milles de Londres, une terre, vieil héritage de famille, et, dans la ville de Derby, un intendant avec lequel il n’avait jamais eu de relations que pour lui faire passer de temps en temps quelque argent dont il ne savait que faire, et qui provenait de ses gratifications ou de ses paris de prise. Il écrivit donc à cet intendant de le venir joindre à Londres, et de se préparer à lui donner, sur l’état de sa fortune, tous les renseignements dont, pour la première fois, les circonstances dans lesquelles il se trouvait lui faisaient sentir le besoin.
En vertu de cette invitation, M. Sanders arriva à Londres avec un registre sur lequel étaient inscrites, dans l’ordre le plus scrupuleux, les recettes et les dépenses de Williams-house, et cela depuis trente deux ans, époque de la mort de sir Williams Davys, mon grand-père, lequel avait fait batir ce chateau et lui avait donné son nom. En outre, et par ordre de dates, étaient portées en marge les différentes sommes envoyées successivement par le possesseur actuel, ainsi que l’emploi qui en avait été fait?; emploi qui, presque toujours, avait eu pour but d’arrondir la propriété territoriale,
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