De la main, M. Davaine lui avait désigné une chaise: mais M. Bobby 
préférait rester debout, parce qu'il ne perdait rien de sa taille. 
--J'ai tenu à vous faire bien comprendre, monsieur le chef de la Sûreté,
que si je me présentais chez vous, c'était de ma propre volonté, sans y 
être contraint par aucune obligation professionnelle... je suis tout 
simplement un touriste, qui est venu visiter votre Paris--une belle ville, 
vraiment, fit-il avec un ton de condescendance--et qu'un mouvement de 
générosité toute spontanée entraîne à vous rendre un petit service.... 
--Trop bon, en vérité. Mais... seriez-vous assez aimable pour me 
rendre... ce petit service, le plus tôt possible... j'ai tant d'occupations 
que je suis un peu pressé.... 
Une ombre passa sur le visage de M. Bobby: 
--Si vous le désirez, fit-il d'une voix blanche, je reviendrai à un autre 
moment. 
--Ah non! par exemple, clama M. Davaine. Monsieur Bobby, je vous 
tiens pour un parfait gentleman... mais là, sincèrement, je suis on ne 
peut plus impatient de connaître le véritable motif de votre visite... et si 
vous pouviez, en deux mots, calmer cette impatience.... 
A part lui, le policier commençait à se demander très sérieusement s'il 
n'allait pas jeter cet imbécile au bas de l'escalier. 
Quant à M. Bobby, il eut un léger haussement d'épaules. 
Les Français, toujours les mêmes! Frivoles et légers! 
Alors, comme sous le déclanchement d'un ressort, il prononça des 
phrases brèves. 
--Vous ne savez pas quel est le mort de l'Obélisque? 
Lavaur eut un sursaut. 
--Non, dit le chef de la Sûreté. 
--Je le sais.... 
--Eh bien, parlez, parlez vite....
--Mes promenades m'ont mené à la Morgue... j'ai vu.... 
--Et vous avez reconnu.... 
--Une insigne canaille.... 
--Qui s'appelle? 
--Coxward, le pugiliste, le boxeur. Voilà. 
 
III 
QUERELLES DE BOUTIQUES 
Deux heures après, on lisait dans le Nouvelliste les détails suivants: 
Coxward (John) était un boxeur de profession, non pas un de ces 
athlètes qui prétendent au titre de champion du monde, mais un rouleur 
de baraques foraines qui faisait le coup de poing pour quelques 
shillings, battait ou était battu, sans grand dommage ni pour ses 
adversaires ni pour lui-même, peu coté chez les parieurs, mais assez 
truqueur en somme pour gagner sa vie. 
D'ailleurs, ivrogne invétéré, irrespectueux du bien d'autrui, déjà initié 
aux douceurs de la prison et du «tread-mill». 
Bref, un personnage peu intéressant. 
M. Bobby, le célèbre détective anglais, supposait que le personnage 
avait eu l'idée de chercher fortune à Paris où les combats de boxe, juste 
en ce moment, attiraient dans un de nos plus notoires music-halls une 
foule aussi élégante que sauvage, qui discutait comme des 
«aficionados» les combats de taureaux, les «swings» et les «knock-out» 
des corpulents compétiteurs. 
Coxward eût-il fait bonne figure dans ces «fights» de haute volée: 
c'était peu probable, mais l'illusion est ardente conseillère à laquelle on
résiste peu, sans parler de l'attraction que pouvait exercer Paris sur un 
pareil personnage. 
Quant à savoir à la suite de quels événements Coxward, assommé, 
s'était trouvé au pied de l'Obélisque, l'intérêt était en somme fort mince, 
et l'attention publique s'en fût rapidement désintéressée, si une 
circonstance toute particulière ne s'était produite et n'avait donné à 
l'affaire un regain de publicité. 
Nul n'ignore que si le Nouvelliste tient le haut du pavé, dans la carrière 
du journalisme d'information, il est serré de près par un concurrent, le 
Reporter, dont la vogue augmente tous les jours. 
Le Nouvelliste, dédaigneux de son rival, ne se fait pas faute d'affirmer 
sa supériorité, en des termes souvent peu bienveillants pour le Reporter 
qui de son côté cherche, par tous moyens, à prendre son adversaire en 
défaut. 
C'est entre les deux journaux une guerre au couteau qui amuse la 
galerie, mais dans laquelle s'exaspèrent volontiers les deux lutteurs qui 
échangent des arguments dont quelquefois la courtoisie laisse à désirer. 
Or, il s'était trouvé que dans cette affaire de l'Obélisque, le Nouvelliste 
était arrivé bon premier, tant pour le récit de l'aventure que pour la suite 
de l'enquête. Le Reporter, de son côté, suivait une piste parmi les 
sportsmen français, alors que, directement informé par la Préfecture, le 
Nouvelliste avait démoli tout son échafaudage de déductions en 
révélant la déposition de M. Bobby. 
Et il avait fait suivre cette publication de cette phrase aigre-douce: 
--_Nous regrettons vivement que la simple vérité réduise à néant les 
très ingénieuses hypothèses dans lesquelles s'étaient complus certains 
de nos confrères. Encore une fois, le Nouvelliste a prouvé la sûreté de 
ses informations, qui n'ont rien de commun, avec les imaginations 
fantaisistes d'une presse assez peu scrupuleuse pour inventer de toutes 
pièces des renseignements fallacieux._
C'était livrer à la risée le Reporter, accusé de légèreté et presque de 
mensonge, et les autres journaux ne manquèrent pas de marquer le 
coup. 
Aussi, dans les bureaux du Reporter, l'émotion fut-elle grande: le 
directeur fulmina et mit    
    
		
	
	
	Continue reading on your phone by scaning this QR Code
 
	 	
	
	
	    Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the 
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.
	    
	    
