trois heures. Pendant deux heures,
d'Artagnan chercha Porthos.
Pendant la troisième, il revint à la maison.
-- Nous nous serons croisés, dit-il, et je vais trouver les deux convives
attendant mon retour.
D'Artagnan se trompait. Il ne retrouva pas plus Porthos à l'évêché qu'il
ne l'avait trouvé sur le bord du canal.
Aramis l'attendait au haut de l'escalier avec une mine désespérée.
-- Ne vous a-t-on pas rejoint, mon cher d'Artagnan? cria-t-il du plus
loin qu'il aperçut le mousquetaire.
-- Non. Auriez-vous fait courir après moi?
-- Désolé, mon cher ami, désolé de vous avoir fait courir inutilement;
mais, vers sept heures, l'aumônier de Saint-Paterne est venu; il avait
rencontré du Vallon qui s'en allait et qui, n'ayant voulu réveiller
personne à l'évêché, l'avait chargé de me dire que, craignant que M.
Gétard ne lui fît quelque mauvais tour en son absence, il allait profiter
de la marée du matin pour faire un tour à Belle-Île.
-- Mais, dites-moi, Goliath n'a pas traversé les quatre lieues de mer, ce
me semble?
-- Il y en a bien six, dit Aramis.
-- Encore moins, alors.
-- Aussi, cher ami, dit le prélat avec un doux sourire, Goliath est à
l'écurie, fort satisfait même, j'en réponds, de n'avoir plus Porthos sur le
dos.
En effet, le cheval avait été ramené du relais par les soins du prélat, à
qui aucun détail n'échappait.
D'Artagnan parut on ne peut plus satisfait de l'explication.
Il commençait un rôle de dissimulation qui convenait parfaitement aux
soupçons qui s'accentuaient de plus en plus dans son esprit. Il déjeuna
entre le jésuite et Aramis, ayant le dominicain en face de lui et souriant
particulièrement au dominicain, dont la bonne grosse figure lui revenait
assez.
Le repas fut long et somptueux; d'excellent vin d'Espagne, de belles
huîtres du Morbihan, les poissons exquis de l'embouchure de la Loire,
les énormes chevrettes de Paimboeuf et le gibier délicat des bruyères en
firent les frais.
D'Artagnan mangea beaucoup et but peu. Aramis ne but pas du tout, ou
du moins ne but que de l'eau. Puis après le déjeuner:
-- Vous m'avez offert une arquebuse? dit d'Artagnan.
-- Oui.
-- Prêtez-la-moi.
-- Vous voulez chasser?
-- En attendant Porthos, c'est ce que j'ai de mieux à faire, je crois.
-- Prenez celle que vous voudrez au trophée.
-- Venez-vous avec moi?
-- Hélas! cher ami, ce serait avec grand plaisir, mais la chasse est
défendue aux évêques.
-- Ah! dit d'Artagnan, je ne savais pas.
-- D'ailleurs, continua Aramis, j'ai affaire jusqu'à midi.
-- J'irai donc seul? dit d'Artagnan.
-- Hélas! oui! mais revenez dîner surtout.
-- Pardieu! on mange trop bien chez vous pour que je n'y revienne pas.
Et là-dessus d'Artagnan quitta son hôte, salua les convives, prit son
arquebuse, mais, au lieu de chasser, courut tout droit au petit port de
Vannes.
Il regarda en vain si on le suivait; il ne vit rien ni personne.
Il fréta un petit bâtiment de pêche pour vingt-cinq livres et partit à onze
heures et demie, convaincu qu'on ne l'avait pas suivi. On ne l'avait pas
suivi, c'était vrai. Seulement, un frère jésuite, placé au haut du clocher
de son église, n'avait pas, depuis le matin, à l'aide d'une excellente
lunette, perdu un seul de ses pas. À onze heures trois quarts, Aramis
était averti que d'Artagnan voguait vers Belle-Île.
Le voyage de d'Artagnan fut rapide: un bon vent nord-nord-est le
poussait vers Belle-Île.
Au fur et à mesure qu'il approchait, ses yeux interrogeaient la côte. Il
cherchait à voir, soit sur le rivage, soit au-dessus des fortifications,
l'éclatant habit de Porthos et sa vaste stature se détachant sur un ciel
légèrement nuageux.
D'Artagnan cherchait inutilement; il débarqua sans avoir rien vu, et
apprit du premier soldat interrogé par lui que M. du Vallon n'était point
encore revenu de Vannes.
Alors, sans perdre un instant, d'Artagnan ordonna à sa petite barque de
mettre le cap sur Sarzeau.
On sait que le vent tourne avec les différentes heures de la journée; le
vent était passé du nord-nord-est au sud-est; le vent était donc presque
aussi bon pour le retour à Sarzeau qu'il l'avait été pour le voyage de
Belle-Île. En trois heures, d'Artagnan eut touché le continent; deux
autres heures lui suffirent pour gagner Vannes.
Malgré la rapidité de la course, ce que d'Artagnan dévora d'impatience
et de dépit pendant cette traversée, le pont seul du bateau sur lequel il
trépigna pendant trois heures pourrait le raconter à l'histoire.
D'Artagnan ne fit qu'un bond du quai où il était débarqué au palais
épiscopal.
Il comptait terrifier Aramis par la promptitude de son retour, et il
voulait lui reprocher sa duplicité, avec réserve toutefois, mais avec
assez d'esprit néanmoins pour lui en faire sentir toutes les conséquences
et lui arracher une partie de son secret.
Il

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