Le vicomte de Bragelonne, Tome I. | Page 3

Alexandre Dumas
leur tour leurs commentaires sur ce qu'ils venaient de voir; puis, lorsqu'ils furent partis, la rue, la place et la cour demeur��rent d��sertes. Monsieur descendit de cheval sans dire un mot, passa dans son appartement, o�� son valet de chambre le changea d'habits; et comme Madame n'avait pas encore envoy�� prendre les ordres pour le d��jeuner, Monsieur s'��tendit sur une chaise longue et s'endormit d'aussi bon coeur que s'il e?t ��t�� onze heures du soir.
Les huit gardes, qui comprenaient que leur service ��tait fini pour le reste de la journ��e, se couch��rent sur des bancs de pierre, au soleil; les palefreniers disparurent avec leurs chevaux dans les ��curies, et, �� part quelques joyeux oiseaux s'effarouchant les uns les autres, avec des p��piements aigus, dans les touffes des girofl��es, on e?t dit qu'au chateau tout dormait comme Monseigneur.
Tout �� coup, au milieu de ce silence si doux, retentit un ��clat de rire nerveux, ��clatant, qui fit ouvrir un oeil �� quelques-uns des hallebardiers enfonc��s dans leur sieste. Cet ��clat de rire partait d'une crois��e du chateau, visit��e en ce moment par le soleil, qui l'englobait dans un de ces grands angles que dessinent avant midi, sur les cours, les profils des chemin��es. Le petit balcon de fer cisel�� qui s'avan?ait au-del�� de cette fen��tre ��tait meubl�� d'un pot de girofl��es rouges, d'un autre pot de primev��res, et d'un rosier hatif, dont le feuillage, d'un vert magnifique, ��tait diapr�� de plusieurs paillettes rouges annon?ant des roses. Dans la chambre qu'��clairait cette fen��tre, on voyait une table carr��e v��tue d'une vieille tapisserie �� larges fleurs de Harlem; au milieu de cette table, une fiole de gr��s �� long col, dans laquelle plongeaient des iris et du muguet; �� chacune des extr��mit��s de cette table, une jeune fille. L'attitude de ces deux enfants ��tait singuli��re: on les e?t prises pour deux pensionnaires ��chapp��es du couvent. L'une, les deux coudes appuy��s sur la table, une plume �� la main, tra?ait des caract��res sur une feuille de beau papier de Hollande; l'autre, �� genoux sur une chaise, ce qui lui permettait de s'avancer de la t��te et du buste par-dessus le dossier et jusqu'en pleine table, regardait sa compagne ��crire. De l�� mille cris, mille railleries, mille rires, dont l'un, plus ��clatant que les autres, avait effray�� les oiseaux des ravenelles et troubl�� le sommeil des gardes de Monsieur. Nous en sommes aux portraits, on nous passera donc, nous l'esp��rons, les deux derniers de ce chapitre.
Celle qui ��tait appuy��e sur la chaise, c'est-��-dire la bruyante, la rieuse, ��tait une belle fille de dix-neuf �� vingt ans, brune de peau, brune de cheveux, resplendissante, par ses yeux, qui s'allumaient sous des sourcils vigoureusement trac��s, et surtout par ses dents, qui ��clataient comme des perles sous ses l��vres d'un corail sanglant. Chacun de ses mouvements semblait le r��sultat du jeu d'une mime; elle ne vivait pas, elle bondissait.
L'autre, celle qui ��crivait, regardait sa turbulente compagne avec un oeil bleu, limpide et pur comme ��tait le ciel ce jour-l��. Ses cheveux, d'un blond cendr��, roul��s avec un go?t exquis, tombaient en grappes soyeuses sur ses joues nacr��es; elle promenait sur le papier une main fine, mais dont la maigreur accusait son extr��me jeunesse. �� chaque ��clat de rire de son amie, elle soulevait, comme d��pit��e, ses blanches ��paules d'une forme po��tique et suave, mais auxquelles manquait ce luxe de vigueur et de model�� qu'on e?t d��sir�� voir �� ses bras et �� ses mains.
-- Montalais! Montalais! dit-elle enfin d'une voix douce et caressante comme un chant, vous riez trop fort, vous riez comme un homme; non seulement vous vous ferez remarquer de MM. les gardes, mais vous n'entendrez pas la cloche de Madame, lorsque Madame appellera.
La jeune fille qu'on appelait Montalais, ne cessant ni de rire ni de gesticuler �� cette admonestation, r��pondit:
-- Louise, vous ne dites pas votre fa?on de penser, ma ch��re; vous savez que MM. les gardes, comme vous les appelez, commencent leur somme, et que le canon ne les r��veillerait pas; vous savez que la cloche de Madame s'entend du pont de Blois, et que par cons��quent je l'entendrai quand mon service m'appellera chez Madame. Ce qui vous ennuie, c'est que je ris quand vous ��crivez; ce que vous craignez, c'est que Mme de Saint-Remy, votre m��re, ne monte ici, comme elle fait quelquefois quand nous rions trop; qu'elle ne nous surprenne, et qu'elle ne voie cette ��norme feuille de papier sur laquelle, depuis un quart d'heure, vous n'avez encore trac�� que ces mots: Monsieur Raoul. Or vous avez raison, ma ch��re Louise, parce que, apr��s ces mots, Monsieur Raoul, on peut en mettre tant d'autres, si significatifs et si incendiaires, que Mme de Saint- Remy, votre ch��re m��re, aurait droit de jeter feu et flammes. Hein! n'est-ce pas cela, dites?
Et Montalais redoublait ses rires
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